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Avoir 20 ans en Mai 68

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Alors qu’un grand nombre d’événements s’apprêtent à célébrer le cinquantenaire de mai 68, le journaliste et photographe Jacques Revon a tenu à partager avec nous son mai 68. Il avait 20 ans et terminait alors son cycle d’apprentissage au métier de photographe.

Mai 68, c’est pour moi la date qui marquera la fin de mes trois années d’apprentissage au métier de photographe, études effectuées chez mon père portraitiste à Roanne dans la Loire, puis en septembre de cette même année, un autre évènement, celui de mon départ au service militaire, j’étais sursitaire.

A Roanne, comme dans beaucoup de villes moyennes de province, le mois de mai 68 sera principalement le théâtre de multiples manifestations sociales; ouvriers, employés et lycéens se côtoieront et marcheront dans les rues de leur ville.

Dès mon apprentissage, mon petit appareil 24X36 ne me quitte jamais, alors je vais décider simplement d’immortaliser certains de ces moments de notre Histoire.

Dans cette sous-préfecture de la Loire, les réunions de protestations se feront la plus part du temps dans la rue, comme ici sur ces images, des manifestations revendicatrices certes mais pacifiques et sans violence.

On y vient avec ses collègues de travail, en famille, avec ses amis et ses copains de lycée pour voir, entendre, revendiquer et défiler.

Les CAL, comités d’action lycéens font leur apparition, 400 seront recensés dans les lycées de l’hexagone, les lycéens prennent la parole, ils veulent réformer le contenu des études scolaires, ils écrivent des cahiers de revendications.

De mon côté, simple apprenti et donc peu informé de ce qu’ils veulent changer, j’observe d’un oeil plutôt curieux et interrogatif leur engagement dans la rue et je me contente de témoigner par l’image.

A Roanne, la place de l’Hotel de Ville devient le lieu de ralliement d’une population qui se pose des questions. Sur ces images d’un jour du mois de mai, l’espace public se remplira à vue d’oeil, et deviendra très vite noir de monde comme j’aimais il ne l’avait été et sans doute ne le sera plus de si tôt.

C’est un jour où il fallait être là! on est venu en famille pour ne rien manquer, comme sur cette photo où l’on découvre à gauche du cadre, un couple qui vient se placer aux premières loges face à la Mairie, une maman pousse un landau…

Durant cette réunion publique, les banderoles se lèvent les unes après les autres.

Devant l’entrée de la Mairie, trois gaillards se positionnent et dressent un calicot où est inscrit « Nous continuons la grève » Des salariés de différentes usines, d’entreprises de textile, de bonneteries de la région, se retrouvent côte à côte avec les ouvriers de l’usine « phare » de la ville, l’Arsenal de Roanne! crée dès 1917 où durant longtemps seront construits des chars et ce jusqu’en 2008.

Devant l’entrée de la Mairie, les discours des leaders syndicaux et autres s’enchainent rythmés par les applaudissements, puis le départ est donné pour une procession revendicatrice collective dans le centre de cette ville à majorité ouvrière.

D’un côté, des jeunes s’engouffrent en direction du pont qui surplombe la Loire, dans la rue Jean Jaurès au non des banderoles: « Union des jeunes pour le Progrès et pour la République! » slogans d’ailleurs repris et amplifiés par un haut-parleur fixé sur le toit d’une voiture Citroën qui ouvre la marche du cortège et près de laquelle un jeune adolescent souriant, porte fièrement le drapeau tricolore. Les jeunes manifestants passent d’ailleurs devant le magasin-studio et atelier photographique de mon père…L’ambiance est au plus fort et je photographie.

Un peu plus tard, un autre cortège celui des salariés et des lycéens du CAL, se dirige dans la rue qui monte au carrefour principal de la ville où siège le grand magasin de l’époque: les Dames de France.

Les lycéens garçons et filles se tiennent bien serrés les uns contre les autres, bras dessus bras dessous, tout cela est bon enfant… Ils sont suivi de très près par le gros du cortège, celui des « travailleurs unis » les cris se succèdent, les slogans aussi.

Au passage de l’immense foule au carrefour, il se passe quelque chose? les regards des manifestants se dirigent en direction d’un balcon. Là, des femmes penchées à ce balcon d’un bel immeuble de l’époque, se mettent tout d’un coup à verser un seau d’eau… pourquoi à cet instant précis? je ne le saurai jamais mais à la vue de l’évènement je décide d’immortaliser la scène.
A Roanne, lors de ce jour de manifestation de mai 68, équipé de mon petit appareil 24X36, je ferai vingt photographies noir et blanc différentes. Une époque où l’on décidait de déclencher au moment voulu, pas plus.

Cinq mois plus tard, en septembre je suis appelé sous les drapeaux pour faire les classes, j’emporte avec moi mon précieux petit 24X36 et trois films, çà c’est encore une autre histoire…avec d’autres souvenirs.


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Jacques Revon
Jacques Revon est photographe, journaliste d'investigation et grand reporter français. Reportages humanitaires, conflits divers, rallyes aériens, sujets économiques et sociaux, médicaux et scientifiques, échanges culturels, tournés dans de nombreux pays… Il réalise de nombreux reportages pour France 3 dans le domaine du jazz, et en photographie pour Culture Jazz et Media Music, il couvre de nombreux festivals. En 2020, il publie "Au temps du coronavirus", un ouvrage rassemblant des images d'un collectif de photographes qui témoignent de la vie quotidienne sous pandémie (L'Harmattan).

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