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Le Musée Imaginaire d’Anne Morin
Les archives de la galerie Howard Greenberg

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L’inauguration de l’exposition « De l’Archive à l’Histoire Howard Greenberg Gallery » s’est déroulée vendredi dernier à l’Isle-sur-la-Sorge. C’est le centre d’art Campredon qui accueille trois mois durant, une sélection d’une centaine de tirages issue des archives de la galerie new yorkaise Howard Greenberg. Cette exposition a été orchestrée par Anne Morin, fondatrice de di Chroma Photography, structure spécialisée dans la production d’expositions photographiques itinérantes. Elle nous explique ici comment elle a souhaité rendre hommage au galeriste, tout en donnant une nouvelle lecture de l’Histoire de la photographie.

« L’invisible commence dans l’œil. Il contient le pendant de l’espace extérieur, c’est-à-dire notre espace intérieur. De l’un à l’autre, le regard se fait passeur ». Bernard Noël, Journal du Regard

 

Tout débute en 1977, lorsque Howard Greenberg alors photojournaliste indépendant, fonde le Center of Photography à Woodstock, près de New York. C’est à ce moment là qu’il achète ses premiers tirages. En 1981, Greenberg ouvre un lieu d’exposition et de vente nommé Photofind, avant de s’installer dans le quartier SoHo à New York en 1986 pour y inaugurer une galerie portant son nom. C’est en 2012, au Musée de l’Elysée que le public découvre pour la première fois, la collection photographique d’Howard Greenberg. Composée de près de 500 pièces, cette collection voyagera par la suite dans trois autres villes européennes que sont Budapest, Amsterdam et Paris. Quatre ans plus tard, sa collection est vendue au Museum of Fine Arts de Boston.
Aujourd’hui, la curatrice Anne Morin nous propose de plonger dans les archives de la galerie, qui rassemble pas moins de 30 000 tirages s’étendant sur plus d’un siècle ! Et comme elle nous l’explique ici, après avoir passé 3 jours complets enfermée à la galerie, à découvrir les trésors cachés du marchand new yorkais parmi des piles de tirages allant jusqu’au plafond, elle a laissé libre cours à son intuition pour faire cohabiter une centaine de tirages à la manière d’un cadavre exquis…

Une revisite de l’Histoire de la Photographie 1900 – 2006

Cette sélection a été faite dans la perspective de revisiter l’Histoire de la photographie avec les grands noms de l’histoire de la photographie mais aussi de manière adjacente, en ajoutant des noms de photographes qu’Howard Greenberg – et en particulier des américains – a révélé dans leur carrière. Dans mon intention première, je voulais accéder à ces images qui ont habituellement un trajet très réduit, car généralement elles passent directement de la galerie au domicile du collectionneur. Cette exposition, c’est un chemin de traverse, c’est une manière pour le public d’accéder à des images qu’il n’aurait pas eut l’occasion de voir.
Cela fait 10 ans qu’Howard et moi collaborons ensemble. Nous avons réalisé les expositions de Bérénice Abbott, de Vivian Maier et nous avons beaucoup d’autres projets en cours, et c’était pour moi la meilleure manière de remercier Howard. Je voulais mettre en avant sa galerie et le formidable travail qu’il fournit depuis plus de quarante ans. Il a fait beaucoup pour la photographie. Aujourd’hui cette exposition est une manière de lui rendre hommage.

« J’ai décidé que j’allais exposer ce qui me tenait à cœur, sans tenir compte de l’aspect commercial, et le travail des grands maîtres aiderait à financer le reste ». Howard Greenberg

Anne Morin lors de la visite de l’exposition

La sélection d’une archive de plus de 30.000 pièces

Quand j’ai fait le choix des tirages, ce n’était pas une sélection réfléchie, je ne me suis pas dit « tiens je vais mettre ce Saul Leiter à côté de cette image ci… ». Je me suis immergée pendant trois jours dans sa galerie, il m’a laissé libérer toutes ces chimères et les faire converser entre elles, et ça c’est fait « comme ça »… Instinctivement. C’est aussi un petit clin d’œil à René Char, puisque nous sommes dans sa ville, dans une lettre qu’il adresse à Albert Camus, il parle de rivière souterraine et de cette amitié et cette fraternité qui les unissaient dans leur manière de comprendre le monde. Et avec Howard nous avons aussi ce lien, cette affinité, je n’aurai pas pu le faire avec quelqu’un d’autre. Le troisième partenaire de cette aventure c’est le centre d’art Campredon qui est le réceptacle tout à fait idéal pour ce type de proposition curatoriale transversale.

Comment les photographies se juxtaposent- elles, comment initient-elles un dialogue entre elles ?

Je ne tenais pas à intellectualiser le propos parce que pour moi, cette exposition est un musée imaginaire (ndlr : titre de l’essai publié par André Malraux en 1947), c’est le mien en tout cas, c’est la vision que j’ai de son archive. C’est une mise en avant de toutes ces couches souterraines de la photographie qui ne sont pas vues, et c’est exactement ce que je voulais montrer. On retrouve ici une nouvelle vision et une nouvelle lecture de l’histoire de la photographie.

Il n’y a pas eu une photographie que j’ai sélectionnée sur place qui ne soit pas dans cette exposition, toutes les images ont trouvé leur place dans ce cadavre exquis. C’était l’endroit parfait pour cette exposition. C’est la première fois que nous la présentons dans son intégralité, la première fois, en Espagne, il n’y avait que 70 images, ici on en a 112 avec 63 auteurs photographes.

Le tirage d’Eugène, Hôtel de la Brinvilliers l’empoisonneuse 1900, avec sa loupe

Le tirage le plus ancien date de 1900, c’est une photographie d’Eugène Atget, une vue de l’Hôtel de la Brinvilliers. C’est une histoire peu commune qui se cache derrière cet endroit, au XVIIème siècle la marquise de la Brinvillier, dite l’empoisonneuse, avait tué son père et s’attaquait à son mari lorsqu’elle fut arrêté. Le tirage le plus récent est un Polaroïd unique d’Araki daté de 2006. On retrouve également un ensemble de trois images de Jan Sudek, faisant partie de ses tous premiers achats, à l’époque où il était à Woodstock. Il a découvert ses images par hasard, chez un encadreur et il les a achetées.

Triptyque : Helen Levitt, André Kertész et Edward Steichen

L’articulation des images s’opère de manière fluide tout au long de l’exposition à travers les différentes salles des trois niveaux. Il y a au des coïncidences magiques lors de la mise en place : comme ce triptyque composé de portraits : celui d’Helen Levitt, un tirage unique d’André Kertész et ce portrait d’Anita d’Edward Steichen. Au départ, ce n’était pas intentionnel et ça fonctionne incroyablement bien !

« De l’Archive à l’Histoire Howard Greenberg Gallery » est visible jusqu’au 9 juin 2019. La prochaine exposition présentée au Campredon Centre d’Art et curatée par Anne Morin sera consacrée au célèbre photographe de mode français Guy Bourdin.

INFORMATIONS PRATIQUES

sam09mar10 h 00 mindim09jui17 h 30 minDe l'archive à l'HistoireHoward Greenberg GalleryCampredon Centre d'Art, 20, rue du Docteur Tallet 84800 L'Isle-sur-la-Sorgue

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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