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Rencontre avec Thierry Secretan. « A luta continua ! », pour la défense des droits des photographes

Portrait de Thierry Secretan. Président du PAJ
Temps de lecture estimé : 15mins

Thierry Secretan est photographe et réalisateur indépendant. Cet ancien rédacteur-en-chef de l’agence Sygma est aujourd’hui président du syndicat PAJ (Photographes, Auteurs, Journalistes). Au cœur d’un combat qui vise à améliorer la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les photographes indépendants, PAJ a été l’unique syndicat de photographes à signer en 2014, avec ceux des éditeurs et des agences de presse, le Code de bonnes pratiques professionnelles visant à faire respecter les lois (délais de paiement, copyrights, conservation des métadonnées etc.).

Il exprime ici sa colère vis-à-vis des organisations syndicales et des sociétés d’auteurs qui se positionnent contre le Code. Il souhaite également informer les photographes sur l’importance des outils d’identification de leurs contenus sur le web.

Pouvez-vous nous présenter le PAJ ?

PAJ est un jeune syndicat créé en 2011, à l’initiative de trois photojournalistes : Alain Noguès, Mario Fourmy et moi-même. Il rassemble aujourd’hui 130 photographes, journalistes et documentaristes indépendants qui ont tous une spécificité journalistique. Nous avons la crème du photojournalisme français avec une parfaite parité !
 Notre ligne directrice est d’offrir aux photographes les outils juridiques et technologiques permettant de défendre leurs contenus contre le pillage abyssal qui s’opère sur internet.

« Depuis des décennies, on entend que notre profession doit se fédérer. Je pense que la condition sine qua non pour être photographe c’est d’être un individualiste forcené doté d’un fort égo. Sinon, comment lever son appareil et se dire que sa photo sera meilleure que celle du voisin ? Espérer des photographes que cette belle communauté s’unisse, je n’y crois pas trop ».

Quels sont les combats du PAJ ?

Notre mission est de faire de la pédagogie juridique et technologique auprès des photographes et de la filière en général. Le Code de bonnes pratiques est l’un de nos principaux combats. Ce Code a été signé en 2014 par le ministère de la culture, tous les syndicats d’éditeurs de presse (SPQN, SEPM, etc.), les syndicats d’agence de presse (SAPHIR, FNAPPI, SNAPIG), d’illustration (SNAPIG) et PAJ. Il a pour but d’éradiquer les problèmes récurrents de délais de paiement, de commandes réglées en droits d’auteur, ce qui est illégal, d’obtenir le maintien obligatoire des métadonnées sur les sites des éditeurs de presse etc. PAJ l’a signé car il instaurait un comité de suivi pérenne entre les partenaires de la filière.
À notre grande surprise, ce code a été boycotté par les autres syndicats et organisations professionnelles censés défendre les photographes, comme l’UPP, la SAIF, le SNJ et la CGT, avec l’argument d’être « insuffisant » et de faire « régresser » la loi.
Avant l’été 2019, PAJ a incité le ministère de la culture à rouvrir le Code à signature, ce qui a été accepté. Cette ouverture a été rejetée dans une lettre publique, brutale et agressive, signée du SNJ, de la SAIF et des autres, pour les raisons que voici. En mai dernier, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) inflige 310.000€ d’amendes à l’Express, 45.000€ à l’Obs, ou encore 20.000€ à Marie-Claire… pour retard de paiements systématiques. Pour l’UPP et la SAIF, ces amendes sont la preuve que le Code est inutile puisque les retards de paiements subsistent. Les bras m’en tombent ! Comment ignorer le lien entre le Code et ces amendes? Si le comité de suivi du Code, appuyé par nombre d’agences comme Signatures, VU’ etc. n’avaient pas saisi avec insistance la DGMIC et la DGCA et ne leur avaient pas fournis des tableaux détaillés des retards de paiement par titres et par agences, jamais la DGCCRF n’aurait réagit. L’Express perçoit chaque année 370.000€ d’aides directes de la part de l’Etat. Avec 310.000 € d’amende pour retards de paiement, c’est plus de 90% de sa subvention qui disparaît. Et en cas de récidive dans les deux ans l’amende est automatiquement doublée ! La SAIF et les autres, qui n’ont jamais obtenu un tel résultat, osent dire que c’est la preuve que le comité de suivi et le Code ne servent à rien ! C’est dingue d’en arriver à une telle mauvaise foi et de continuer d’affirmer: « Aucune véritable politique de redressement de la situation n’a été entreprise et le code de bonne conduite dit Brun Buisson n’a produit aucun résultat. » (https://www.saif.fr/site/assets/files/1421/2018_09_03_photojournalisme-_un_etat_des_lieux_toujours_aussi_inquietant.pdf)
Or, ce Code de bonnes pratiques est aujourd’hui inscrit dans les nouvelles conventions cadre régissant les conditions d’attribution des aides à la presse que le gouvernement est en train de négocier avec tous les éditeurs de presse. Sept groupes les ont déjà signées, il en reste une vingtaine. Tout ce qui concerne la photographie se réfère au Code. On ne peut donc plus l’ignorer.

« Les résultats sont édifiants : seulement 3% des photographies postées sur le l’internet ont encore des métadonnées de copyright. (…) Avant de parler de rémunération, de répartition des droits d’auteur et de droits voisin, il est impératif de se concentrer sur l’identification et l’authentification des contenus sur le web, impossibles sans marquage ou sans métadonnées. Il n’y a plus de fatalité technologique à supprimer ces dernières, c’est du passé ça ».

Depuis des décennies, on entend que notre profession doit se fédérer. Je pense que la condition sine qua non pour être photographe c’est d’être un individualiste forcené doté d’un fort égo. Sinon, comment lever son appareil et se dire que sa photo sera meilleure que celle du voisin ? Espérer des photographes que cette belle communauté s’unisse, je n’y crois pas trop. Mais utiliser le lieu de concertation permanent avec nos partenaires que le comité de suivi du Code constitue, me semble beaucoup plus réaliste. 
Le comité de suivi est chargé d’amender le code, de le faire évoluer et de le transformer. Ne pas vouloir y participer consiste à pratiquer la politique de la chaise vide, toujours désastreuse ! Le comité de suivi du Code a identifié – et c’est au final bien plus important que tout le reste – l’entreprise numérique française la plus innovante au monde en matière d’identification des contenus. IMATAG est une entreprise française, basée à Rennes, issue de l’INRIA (Institut national de recherche informatique automatique) qui a inventé et breveté le premier marquage invisible et indélébile des photographies permettant de toujours raccrocher ses métadonnées à une photo qui en a été dépouillée. Aujourd’hui, sur le web, c’est fondamental, car on ne peut pas identifier les contenus sans les métadonnées. C’est la guerre qui se joue entre tous les éditeurs de presse du monde et les plateformes telles que Google ou Facebook. Le comité de suivi du Code a donc présenté la solution technologique IMATAG aux éditeurs, agences et photographes de presse. Aujourd’hui Max PPP, Abaca, l’Equipe, Pixtrakk, Roger Violet, l’ADAGP, PAJ, utilisent la technologie d’IMATAG. Tous les adhérents de PAJ ont accès à ce service gratuitement.
Avec le marquage des fichiers, les éditeurs pourront identifier et comptabiliser leurs contenus sur les plateformes, et revendiquer une part des revenus publicitaires.

En 2018 IMATAG a publié l’état des lieux des métadonnées sur le web. Les résultats sont édifiants : seulement 3% des photographies postées sur l’internet ont encore des métadonnées de copyright. Quant aux sites des éditeurs de presse, une vaste majorité les suppriment en compressant les photographies à cause d’une vieille culture qui consiste à alléger à outrance les fichiers pour que les photographies montent plus vite sur les écrans, alors que les métadonnées de sources ne pèsent que quelque ko…
https://imatag.com/blog/2019/06/10/etat-lieux-2019-metadonnees-dimages-presse/
IMATAG a également créé un moteur de recherche inversé ouvert au public indexant 20 milliards d’images dès première publication dont 500 millions ayant encore des métadonnées ce qui permet d’authentifier la source de ces dernières.
https://imatag.com/search/

Comment parler de rémunération, répartition des droits d’auteur et droits voisin, sans la possibilité d’identifier les contenus au préalable ? D’ailleurs les hommes de Google ont organisé un workshop l’an passé à Berlin, où ils ont expliqué, pas fous, qu’ils afficheront les métadonnées « quand il y en aura » ! En 2019, le comité de suivi du Code a remis les statistiques d’IMATAG des métadonnées sur les sites de presse au ministère, à la DGCA et à la DGMIC. Ils sont renversés ! La majorité des sites affichent 0 % de métadonnées. Certains sites sont cependant bien placés comme ceux de La Croix,Valeurs Actuelles, Le Figaro ou Le Monde. C’est donc qu’il n’y a pas de fatalité technologique à supprimer les métadonnées, c’est du passé ça.

« Les 25.000 photographes indépendants qui sont dans la nature et qui bossent n’importe comment dans des conditions effroyables – dans la précarité, sans carte de presse, ni assurance – tout le monde s’en fout ! Il reste 650 carte de presse de photojournalistes en France. Je ne dis pas qu’il faut les abandonner, mais ces gens là ont la chance. Ce ne sont pas les plus à plaindre. »

N’êtes-vous pas d’accord avec la mission des autres organisations ?

Tous ce qu’elles préconisent pour la profession est vrai, je ne le remets absolument pas en question… Simplement quand vous lisez la lettre de la Saif, qui se termine par une déclaration selon laquelle il faut trouver des « mécanismes obligeant les éditeurs à passer plus de commandes aux professionnels » – sous entendu français – nous pensons que ce n’est pas la bonne stratégie.
 Imaginer des quotas conditionnant les aides à la presse n’est pas dénué de sens, quand on sait qu’en France elle touche 1,5 milliard en aides directes et indirectes de la part de l’Etat. C’est une piste que PAJ a explorée dès 2013 à l’occasion de la mission Lescure. Mais nous avons appris qu’en matière de presse d’information politique et générale (IPG), il n’est tout simplement pas légal d’imposer des quotas sous quelque forme que ce soit. C’est interdit au plan national et européen. Donc en l’état actuel des rapports de force comme en l’état de la législation concernant l’IPG, viser à « obliger » les éditeurs est une approche irréaliste sans fondement légal. Nous avons abandonné cette piste voilà six ans.

La vraie bataille, c’est que le fond de commerce de l’intersyndicale SNJ, CFDT, FO et CGT, ce sont les salariés de la presse, les mensualisés, même pas les pigistes. La sous-secrétaire de rédaction d’un titre de jardinage a sa carte de presse puisqu’elle est salariée de la presse. Cela représente un vivier de 65 000 personnes parmi lesquelles les organisations syndicales vont à la pêche aux adhérents. Les 25.000 photographes indépendants qui sont dans la nature et qui bossent n’importe comment dans des conditions effroyables – dans la précarité, sans carte de presse ni assurance – tout le monde s’en fout ! Il reste 650 cartes de presse de photojournalistes en France, payés en piges salariées. Je ne dis pas qu’il faut les abandonner, mais ces gens là ont de la chance. Ce ne sont pas les plus à plaindre.

Certains éditeurs acceptent de payer les photographes en pige salariale, mais quand vous débutez, c’est plus difficile, et certains éditeurs en profitent pour payer les commandes en droits d’auteur, ce qui est, encore une fois, illégal. La Loi Cressard impose la pige salariale pour les commandes mais personne ne la respecte. Attention, nous ne sommes pas anti loi Cressard, mais beaucoup de photographes demandent souvent à être payés en droits d’auteur pour, eux aussi, payer moins de charges. Personne n’est innocent dans cette histoire.
Il y a aussi des hérésies, comme le Monde qui payent les archives en piges alors qu’il n’y est pas tenu, car pour le coup les archives se payent en droits d’auteur. Le Monde paye donc 50% de charges sociales inutiles sur ces archives. C’est de la mauvaise gestion.
La loi Cressard ne correspond simplement plus à la réalité du marché. Car il faut savoir que la commission d’attribution de la carte de presse, selon ses propres termes, « neutralise les ventes étrangères », bel euphémisme pour dire qu’elle ne tient pas compte de vos ventes étrangères dans ses calculs pour vous attribuer la carte ou la refuser. Donc vous êtes obligé de faire 50% de votre chiffre d’affaire en France, avec des piges salariées françaises ! Mais d’où la France représente-t-elle 50% du marché mondial ? Aujourd’hui avec internet, on vend dans le monde entier ! Et bien la commission n’en tient pas compte. J’envisage très sérieusement, si les membres de PAJ me suivent, de porter l’affaire devant le Parlement européen. Car la loi Cressard établit un lien de subordination entre auteurs et éditeurs contraire à la loi européenne en matière de journalisme.
Autre exemple, l’AFP distribue Citizen Side, agence australienne qui paye ses membres par Paypal. Ils utilisent les photographes français qui font des photos à l’Elysée, ou encore à l’Assemblée nationale, mais ne paient pas de charges sociales, et l’AFP les distribue ! Comment une entreprise subventionnée à 40% par l’Etat peut-elle distribuer des gens qui ne payent pas de charges sociales en France ? C’est de la concurrence déloyale vis à vis des agences de presse françaises.

« En l’état actuel des choses, il faut se concentrer sur les priorités, et l’urgence pour notre profession est juridique. Parce qu’il existe des façons légales de récupérer de l’argent pour les usages délictueux de nos photographies. Je crois savoir que l’AFP récupère chaque année, en usages illégaux, plus de 3 millions d’euros, ça veut dire que les sociétés de recouvrement en récupèrent le double, puisqu’elles reversent généralement 50% aux ayant-droits de ce qu’elles recouvrent ! Aujourd’hui, ignorer le champ financier de l’illégal est dément. D’autre part, ne pas marquer ses photos aujourd’hui avec un watermark robuste, et les publier sur le web n’est tout simplement pas imaginable. J’ai été rédacteur en chef de Sygma à la fin de l’argentique, ça n’existait pas de ne pas tamponner les duplicatas ou les tirages de presse. Les photographes, les agences et les éditeurs de presse qui ne marquent pas les photographies qu’ils diffusent sur l’internet n’auront que leurs yeux pour pleurer et ne pourront s’en prendre qu’à eux mêmes. »

Quel futur pour les photographes ?

Au quotidien, ce que nous pensons c’est que nous sommes aujourd’hui dans une zone de guerre dévastée, dans une jungle où lorsqu’on sort de sa grotte, il y a T-Rex Google qui nous mange. Et que dans l’état actuel des choses, il faut se concentrer sur les priorités, et l’urgence pour notre profession est à mon sens juridique. Parce qu’il existe des façons légales de récupérer de l’argent pour les usages délictueux des photographies. Je crois savoir que l’AFP récupère chaque année, en usages illégaux, plus de 3 millions d’euros, ça veut dire que les sociétés de recouvrement en récupèrent le double, puisqu’elles reversent généralement aux ayant-droits 50% de ce qu’elles recouvrent! Aujourd’hui, ignorer le champ financier que représentent les usages illégaux est dément. Ne pas marquer ses photos avec un watermark robuste et les publier sur le web n’est tout simplement pas imaginable. J’ai été rédacteur en chef de Sygma à la fin de l’argentique, ça n’existait pas de ne pas tamponner les duplicatas ou les tirages de presse. Les photographes, les agences et les éditeurs de presse qui ne marquent pas les photographies qu’ils diffusent sur l’internet n’auront que leurs yeux pour pleurer et ne pourront s’en prendre qu’à eux mêmes.

L’enjeu de l’identification des contenus est primordial. Vous n’imaginez pas le degré d’ignorance de la profession à ce sujet. Moi-même, je n’étais pas vraiment conscient de l’ampleur du désastre il y a encore 5 ans. Je suis extrêmement heureux d’avoir signé ce Code de bonnes pratiques car, grâce à lui, nous avons trouvé la pépite IMATAG, qui change la donne, et pas que pour moi et les photographes. Je suis cependant très désabusé par tous ces syndicats qui mènent une lutte d’arrière garde — « travailleurs contre patronat » comme ils disent — confinant à une posture syndicale d’un autre temps et pour tout dire très démagogique. 
Nous disons aux auteurs comment ils peuvent se défendre, nous leurs donnons des outils pour cela et nous les aidons. Nous sommes aussi l’une des rares cellules de combat avec un vrai moteur juridique. Chaque mois, nous arrivons à faire du recouvrement légal pour nos membres et nous en sommes fiers. Il est de moins en moins nécessaire d’assigner les contrevenants, il suffit souvent d’un simple coup de fil de PAJ à l’un des syndicats siégeant au comité de suivi du Code pour régler le problème. Mais s’il faut assigner nous le faisons. PAJ s’est constitué partie civile aux côtés d’un de ses membres et l’a aidé dans un procès contre la BBC et Arte qui a rapporté 95.000€ à l’auteur. Nous avons aussi engagé une action contre Corbis pour un autre membre, lui avons obtenu des dédommagements et récupéré ses négatifs égarés. Notre slogan est celui des combattants de la guerre d’indépendance du Mozambique que j’ai couverte en son temps : A luta continua !

INFORMATIONS PRATIQUES
PAJ (Photographes, Auteurs, Journalistes)
Frais d’adhésion : 35€ / an
http://www.paj-photographe-auteur-journaliste.org/
https://www.facebook.com/photographe.auteur.journaliste/

A LIRE : 
Rencontre avec Frédérique Founès : Lancement du CLAP dans la continuité du mouvement #PayeTaPhoto

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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