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Art & déconfinement : Claire Jacquet du Frac MÉCA « On a peu écouté les artistes pendant cette période, si l’on compare aux politiques et aux scientifiques ».

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Alors que le Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA annonce une réouverture le 23 juin moyennant des mesures sanitaires rigoureuses, sa directrice Claire Jacquet revient sur l’appel à projets de soutien aux artistes lancé au cours de cette période et l’augmentation du budget d’acquisitions du Frac. Elle nous dévoile les contours de l’exposition prochaine Milléniales. Peintures 2000-2020, conçue avec le commissaire Vincent Pécoil et réunissant une cinquantaine d’artistes toutes générations confondues, autour des évolutions de la peinture depuis ces vingt dernières années.

Le Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA augmente son budget d’acquisitions d’œuvres, en quoi est-ce un signal fort en cette période ?

Il nous a semblé important de réagir pour répondre aux difficultés que traversent les artistes et créateurs. Nous sommes en 1 ère ligne avec eux même si à notre niveau, nous restons moins impactés. Je l’ai mesuré en termes de projets d’expositions, workshops, conférences ou possibles ventes en galeries et dans les foires. Nous avons donc fait le choix avec notre président Bernard de Monferrand, à la fois de lancer un appel à projets – sur lequel nous reviendrons – et d’augmenter le budget d’acquisitions cette année de 20 000€ à partir de ressources pourvues par une billetterie mise en place à la MÉCA.

Quel bilan faites-vous de l’appel à projets lancé par le Frac ?

Nous l’avons lancé tout début avril, la même semaine je crois que l’annonce de soutien d’Antoine de Galbert ; le principe étant de pouvoir susciter et accompagner des projet qui prenaient acte, de près ou de loin de ce contexte lié au COVID, sans avoir à l’illustrer
directement. Ces bourses de 2000€ ont été attribuées à 25 artistes, après une sélection opérée par un jury restreint et la participation de l’artiste Suzanne Husky, à partir de 400 dossiers, ce qui nous a beaucoup surpris. Beaucoup d’artistes n’étaient pas de la région
Nouvelle-Aquitaine alors que cet appel s’adressait en priorité aux artistes liés à notre territoire. J’ai ressenti cela à la fois comme un intérêt à pouvoir répondre de cette période, alors que peu d’occasions permettaient de le faire, et des vrais difficultés financières face auxquelles on ne pouvait pas rester indifférents.
En ce qui concerne les critères de sélection étant donné le nombre de dossiers, nous avons dû écarter les artistes sans lien avec la région, et tous les créateurs ne relevant pas du secteur des arts visuels et plastiques nombreux aussi (danseurs, écrivains, réalisateurs…). Une fois cela acté, a primé l’intérêt du projet, son originalité, tout en préservant la meilleure représentativité possible entre les hommes et les femmes, des tranches d’âge différentes, des ancrages géographiques divers avec des artistes parfois très éloignés de Bordeaux et que l’on côtoie moins souvent. Les réponses étaient très fortes à mon sens avec des vécus existentiels qui ont percuté nos expériences de
confinement respectifs. Revenir sur cette charge émotionnelle qui était déjà en construction pour certains d’entre eux, m’a bouleversé.

Liste des lauréats : Benjamin Artola, Ludovic Beillard, Johann Bernard, Carol Bîmes, Julie Chaffort, Jean-Luc Chapin, Laurie Charles, Christophe Clottes et Lúcia Leistner, Mona Convert, Bastien Cosson, Dalila Dalléas Bouzar, Bertrand Dezoteux, Céline Domengie, Maitetxu Etcheverria, Laurent-David Garnier, Coline Gaulot, Nino Laisné, Mélanie Lecointe, Isabelle Loubère, David Malek, Marion Mounic, Nani$ôka Groupe, Barbara Schroeder, Laure Subreville, Corenthin Thilloy

Quelle vision gardez-vous de cette période ?

Cela a été une parenthèse dans nos vies personnelles et professionnelles qui a agi comme un révélateur sur beaucoup de choses. Pour ma part cela a été l’occasion de réfléchir différemment, d’où cet appel à projets, d’essayer de sortir de nos réflexes ou dispositifs habituels pour nous adapter. La principale force de l’esprit humain c’est de s’adapter comme le résumait Darwin : « ce n’est pas l’espèce la plus intelligente ou la plus forte physiquement qui résistera, c’est celle qui saura évoluer ». Je pense aussi que la période va durer et qu’il va falloir en permanence se questionner. C’est le moment de le faire. Nous n’avons pas le choix et, parmi les institutions, beaucoup d’entre nous
s’interrogent sur les grandes expositions assez couteuses, qui restent passionnantes, même s’il faut sans doute aussi regarder plus du côté de nos collections et travailler aussi plus régulièrement avec des artistes qui sont dans nos régions respectives.

En termes de programmation, que prévoyez-vous pour la réouverture du Frac ?

Le public peut découvrir l’exposition « Narcisse ou la floraison des
mondes » que nous devions décrocher fin mars et que nous avons souhaité conserver jusqu’à la réouverture et prolonger jusqu’au 22 août.
L’exposition suivante, «Milléniales. Peintures 2000-2020 » (24 septembre), portera sur la peinture depuis l’an 2000 avec comme commissaire Vincent Pécoil qui compose cette exposition à
partir de nos collections en région (du Frac Nouvelle-Aquitaine et aussi d’autres collections publiques comme le CAPC et le CNAP). Initialement prévue au printemps, elle est repoussée à l’automne, du 24 septembre 2020 au 3 janvier 2021.

Le monde de l’art saura-t-il, selon vous, tirer les leçons de cette crise ?

Il est encore difficile de donner une réponse à ce stade. Je pense que nous allons modifier certaines choses sans savoir encore lesquelles et que cela va prendre du temps.
Faisant partie d’un milieu privilégié, car ayant accès à la culture, nous n’avons pas d’excuses pour ne pas être exemplaires ! Il faudra savoir faire les bons choix et participer à ce mouvement de conscience citoyenne sur le monde, pouvoir réfléchir avec nos contemporains à ce monde de demain. Les artistes nous y invitent et on ne peut être que partie prenante !

Question plus personnelle : quel est été votre 1er réflexe de déconfinement ?

Je n’ai pas complètement déconfiné, étant dans les Landes, pas très loin de Bordeaux. J’ai cette chance d’être réfugiée à la campagne. Les Landes ayant vécu 2 jours de montée des eaux exceptionnels, je vais essayer de rentrer à Bordeaux dans les jours prochains si les routes ne sont pas bloquées.

Mon premier réflexe je pense, sera d’aller voir quelques amis !

En écoute :

INFOS PRATIQUES
Prendre connaissance des mesures de prévention appliquées : entrée et sortie distinctes, marquage au sol dans le hall d’accueil, port du masque obligatoire pour les plus de 11 ans et fréquentation des espaces d’exposition limitée à 50 personnes soit 24m2 par personne.
Narcisse ou la floraison des mondes qui rassemble une centaine d’œuvres (vidéo, installation, peinture, dessin, photographie, sculpture) interroge la hiérarchie des genres artistiques et la fabrique du vivant industriel
Du 23 juin au 22 août 2020
« Milléniales | Peintures. 2000-2020 »
24 septembre 2020 – 03 janvier 2021
Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA
5, Parvis Corto Maltese
33 800 Bordeaux
https://fracnouvelleaquitaine-meca.fr

A LIRE :
Rencontre avec Claire Jacquet, directrice du Frac Nouvelle Aquitaine-MÉCA
Claire Jacquet, Directrice du FRAC Aquitaine

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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