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Rencontre avec Juan Ignacio Vidarte, directeur général du Musée Guggenheim Bilbao

Temps de lecture estimé : 8mins

Après 2 mois et ½ de fermeture le Guggenheim Bilbao a rouvert ses portes le 1er juin selon un protocole sanitaire très strict. Fer de lance de toute une région, le vaisseau emblématique de Frank Gehry de 11 000 m2 d’expositions n’est pas resté en sommeil et parmi la stratégie digitale déployée, Olafur Elíasson l’un des artistes et temps forts de la programmation a imaginé une extension virtuelle de l’expérimentation offerte aux visiteurs sur un étage entier du Musée.

Les expositions initialement prévues au printemps qui n’avaient pu être inaugurées ont pu être prolongées, ce dont se félicite Juan Ignacio Vidarte malgré les incertitudes qui pèsent et les nombreux ajustements qui ont été nécessaires en terme de budget face au déficit enregistré pendant cette période. Juan Ignacio Vidarte reste positif quant au potentiel d’attractivité du Musée et nous livre ses réflexions sur la crise et la vocation du Musée face aux défis à la fois économiques et environnementaux à venir.

Le Musée Guggenheim Bilbao et le Musée des Beaux-Arts de Bilbao ont rouvert le 1er juin. Pourquoi avez-vous décidé de faire cette réouverture conjointe ?

Cette réouverture conjointe de nos institutions nous a été conseillée par le gouvernement et le ministère de la Culture et nous avons choisi la date du 1er juin, au moment où la situation sanitaire s’améliorait. Nous avons mis en place un certain nombre de mesures pour la réouverture, similaires à celles d’autres musées, même si chacun a une configuration différente. Dans notre cas, nous avons essayé d’imaginer comment chaque visiteur se sentirait lorsqu’il ou elle viendra au musée. Il est très important que le contexte de la visite offre une expérience la plus agréable et sereine possible.

Comment le Musée fait-il face à l’ère de la distanciation sociale ?

Le jour de sa réouverture, le Musée Guggenheim Bilbao a présenté les mesures adoptées pour que les visiteurs puissent vivre paisiblement une journée d’art, tout en se sachant protégés, et profiter des promotions prévues pour visiter le Musée au mois de juin.

Le Musée a ainsi créé une série de pictogrammes en vert qui rappellent clairement et intuitivement toutes les règles à suivre et qui sont présents tant sur le site web que dans les espaces physiques du Musée. Les mesures et leurs icônes respectives sont divisées en deux groupes : considérations préalables et règles durant la visite. Parmi les recommandations préalables se trouvent l’achat en ligne du billet d’entrée dans la tranche horaire voulue, le téléchargement sur le portable de l’audio-guide gratuit, le rappel que seul le paiement par carte est possible à l’intérieur du Musée, l’obligation de porter un masque ou l’avertissement de ne pas venir avec colis et parapluie puisque le vestiaire est fermé.

Une fois dans le Musée, les mesures visant à assurer une visite tranquille et sans risque pour la santé sont la prise de température avant d’entrer et une série de règles adoptées pour maintenir la distance de sécurité avec les autres. Ainsi, un circuit spécial a été conçu pour la visite. Il débute au troisième niveau et se poursuivra au deuxième et au premier (pour ceux qui souhaitent visiter tous les étages) en signalant un sens unique pour parcourir les salles, en séparant escaliers et ascenseurs pour la montée et la descente ou en limitant le nombre d’occupants dans les ascenseurs, sur les bancs et dans les toilettes. Ces mesures simples, visibles grâce à une signalétique horizontale et verticale dans tout le Musée, aident à effectuer la visite dans le calme en évitant le croisement avec d’autres visiteurs, sans pour autant en perturber la fluidité et la qualité. Grâce à l’ampleur des espaces du bâtiment de Frank Gehry et à la limitation du public à un maximum de 400 personnes en même temps, ce qui correspond à 20 mètres carrés minimum par visiteur, le mois de juin offre une chance unique de pouvoir contempler sans bousculades les œuvres d’art.

De plus les écrans tactiles et les tablettes, ainsi que les éléments interactifs ont été remplacés dans le Musée par des haut-parleurs afin d’éviter que de nombreuses personnes ne touchent les surfaces pour accéder au contenu. Plus spécifiquement, et concernant l’exposition actuelle d’Olafur Eliasson, nous avons dû adapter les nombreuses œuvres interactives qui y sont présentées.
Depuis la réouverture, ces principes fonctionnent bien, l’expérience des visiteurs devenant encore plus personnelle.

Comment votre programmation a-t-elle été affectée par la crise ?

La bonne nouvelle est que nous avons reçu des réponses compréhensives et favorables face aux aménagements nécessaires de la part des différentes institutions impliquées dans les expositions.
Notre premier objectif concernant notre programme d’été était de maintenir les expositions que nous venions d’ouvrir avant la pandémie. Nous avons pu, heureusement les prolonger toutes les quatre : Olafur Eliasson, Richard Artschwager, Lygia Clark et William Kentridge. Malheureusement, deux autres expositions – l’une consacrée à El Anatsui et l’autre à Lynette Yiadom-Boakye- n’ont pas pu être reportées, tandis que nos expositions de Lee Krasner et Kandinsky ouvriront toutes deux à l’automne.

Les stratégies digitales ont été l’une des grandes réponses à la crise, quelles sont vos priorités face à cette révolution dans un avenir proche ?

Nous avons été fermés pendant près de trois mois et la seule façon de rester en contact avec notre public était de renforcer notre présence numérique. Nous avons fait un effort particulier, même si nous étions déjà très engagés dans cette digitalisation. Grâce à un programme spécialement conçu à cet effet, intitulé #GuggenheimBilbaoLive, nous avons produit de nouveaux contenus, offert de nouvelles informations sur les expositions et obtenu des différents départements du Musée qu’ils présentent leurs travaux sous différents angles. Nous avons recherché dans nos archives et dans les séquences disponibles des expositions précédentes, et nous avons également produit de nouveaux contenus.

Nous avons également mis l’accent sur le matériel éducatif, avec de nombreux artistes qui ont fourni des propositions éducatives en ligne. Pour nous, ces actions ont été l’une des grandes leçons que nous avons tirées de cette période particulière. Même si l’offre numérique ne remplacera jamais l’expérience physique, il est clair que le monde numérique peut offrir au musée une occasion unique de toucher de nouveaux publics. Nous avons appris que la différence entre le physique et le numérique n’était pas si évidente. Un compromis entre le numérique et la vie réelle est en train d’émerger. Aujourd’hui, être chez soi et regarder des écrans fait partie de notre quotidien. D’une certaine manière, les lignes de démarcation claires commencent à s’estomper.

Ce qui est important pour nous, c’est de regarder vers l’avenir et de poursuivre nos efforts en vue d’une transformation numérique globale et de comprendre ce qu’est notre identité numérique véritable car tout n’a pas besoin d’être basculé en numérique. L’équilibre entre ce qui est physique et ce qui est numérique est assez subtile et relève de chaque contexte et institution.

Selon vous, quels seront les changements pour l’art dans un monde post-Covid19 ?

Il est difficile d’avoir une perspective car la crise n’est pas encore terminée mais il est clair que quelque chose a changé non seulement à cause de la pandémie, mais aussi à cause de la crise économique qui va probablement suivre, surtout pour les musées ayant un public national et international important. Le fait que le tourisme et les communications aériennes soient très limitées signifie que nous fonctionnerons avec un nombre réduit de visiteurs et de ressources. Nous devons donc nous adapter à court terme à ces nouvelles conditions. Notre programme devra être davantage axé sur un nombre réduit d’expositions. Nous devrons nous concentrer sur notre vocation initiale pour faire face à ce défi économique.

A moyen et plus long terme, je suis plus optimiste même si je pense qu’il est encore trop tôt pour faire une réelle projection. Cette période nous a donné l’opportunité de revenir à nos racines et nous concentrer sur notre mission. Il est clair que ce qui est essentiel, c’est d’avoir un lien fort avec nos publics et de pouvoir le maintenir, notamment par des contenus numériques. Nous devons tirer toutes les leçons de cette expérience. Grâce au nombre réduit de visiteurs dans les galeries, la qualité de la visite est bien meilleure. C’est pourquoi, si on songe à l’avenir, nous devrions réfléchir à un moyen de conserver cela. Nous ferons de notre mieux pour maintenir une telle qualité d’expérience pour les visiteurs, à la faveur de cette distanciation sociale y compris quand les foules seront de retour. Ce qui est très spécifique à cette crise, c’est qu’elle fera partie de l’avenir suscitant un degré d’incertitude, de fragilité et de complexité qui exige d’une institution comme la nôtre d’être beaucoup plus flexible.

Par-dessus tout, nous devrons accorder plus d’attention à des notions telles que la durabilité, en ce qui concerne nos institutions et notre travail. De nombreuses pratiques, qui nuisent à l’environnement, devront être réévaluées. Même si les gens continuent à voyager et à visiter des expositions, et à déplacer de l’art d’un endroit à un autre, nous devrons trouver des moyens de le faire d’une manière plus durable et moins dommageable pour l’environnement. Ces problèmes ne vont pas disparaitre après la crise.

INFOS PRATIQUES :
– Olafur Eliasson, « Dans la vie réelle »
– Richard Artschwager
– Lygia Clark, « La peinture comme champ d’expérimentation »
– William Kentridge « 7 Fragments »
Musée Guggenheim Bilbao
Abandoibarra Etorb.
2, 48009 Bilbao, Espagne
https://www.guggenheim-bilbao.eus/fr

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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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