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Entretien avec Frédéric Legros : La série inédite de Doisneau au Palais Idéal, petit miracle du confinement !

Temps de lecture estimé : 8mins

Depuis son arrivée en tant que directeur du Palais Idéal du Facteur Cheval, Frédéric Legros est animé d’un projet ambitieux d’ouverture à la création contemporaine. A l’occasion des expositions de Robert Doisneau (redécouverte d’une série inédite des années 1970) en regard avec Simone Fattal « Bâtisseurs chimériques » et Sarah Pucci « Made with love for Dorothy » conçues pendant le confinement, il nous livre la vision qui l’anime et l’invitation prochaine à Claude Lévêque d’investir le château.

Nombreux sont les artistes à s’être inspirés de l’imaginaire du Facteur comme le souligne les expositions de Picasso (2019), Agnès Varda (2020), Fabrice Hyber (2019) ou « Le vent et les oiseaux m’encouragent » avec les artistes : Ali Cherri, Rebecca Horn, Kate MccGwire et Jean-Luc Mylayne (2019)… Ce monument qui jouit d’une extraordinaire ferveur populaire n’est pas un mausolée selon lui et il entendu bien nous le prouver !

Portrait Frederic Legros

Quelle était votre vision du Palais Idéal avant de songer à en prendre la direction ?

C’est un lieu que j’ai visité à plusieurs périodes de ma vie, la première fois à l’âge de 5 ans et j’étais très troublé par cette histoire de Palais, de facteur et de cheval, je ne comprenais pas bien enfant quelles en étaient les connexions. J’y suis revenu après à plusieurs reprises et ce qui m’a amené à postuler est cette histoire, car s’il est vrai que j’aime raconter des histoires au travers d’expositions notamment, nous sommes ici face à une très belle histoire d’un bâtiment réalisé par un seul homme dans un contexte très particulier et une œuvre qui reste un monument à la fraternité, des thèmes et une démarche que je trouve très touchantes.

Quelles ambitions vous portent pour ce lieu ?

Il y a bien entendu cette volonté qui m’anime de diffuser toujours plus l’œuvre du Facteur Cheval mais aussi de montrer à quel point il a eu une importance et il a toujours une importance dans la création, à quel point il est toujours d’actualité. J’ai eu cette envie avec la programmation de revenir à la fois sur des icônes de l’art qui se réclament de son influence comme on peut avoir Doisneau actuellement ou par le passé Picasso ou même Agnès Varda et les mettre en dialogue avec des nouvelles créations d’artistes vivants, comme actuellement Simone Fattal qui vient à la rencontre de Doisneau et du Palais Idéal. La programmation vient pour moi se créer en réseaux de correspondances et d’affinités.

Simone Fattal, Sirens © François Doury

L’impact de la crise sur la programmation et vos projets : invitation à Claude Lévêque

L’exposition de Claude Lévêque qui devait se tenir au château intitulée Le Palais des Fées aura lieu finalement l’année prochaine suite à la crise. C’est une production totale du Palais idéal pour le Château de Hauterives. Elle a été imaginée par l’artiste comme une sorte de train fantôme, de château hanté qui revient sur les nuits du Facteur cheval, ces nuits de construction et cette vie de labeur traversée par des événements tragiques. Elle est conçue comme un parcours immersif que l’on traverse.

Palais Idéal © Frédéric Jouhanin

Genèse du projet Robert Doisneau : le petit miracle du confinement

Le jour de l’annonce du confinement je suis retombé sur plusieurs photos du Palais qui n’avaient pas été tirées et diffusées et j’ai écrit tout de suite à l’atelier Doisneau à ses deux filles, Annette Doisneau et Francine Déroudille pour savoir s’il y avait d’autres photos inédites et si l’on pouvait envisager un projet, que ce soit une exposition ou une édition. A la toute fin du confinement Francine Déroudille m’appelle en me disant qu’ils avaient retrouvé en plus une nouvelle série de photos des années 1970, ce que j’ai vécu comme un véritable cadeau ! Comme c’est la première exposition que l’on ouvre depuis le confinement, j’avais envie de montrer aussi quelque chose de positif arrivé au cours de cette période, que des choses avaient pu ressurgir au sein même de cette série dans l’histoire du Palais. Ces photos sont toutes inédites. Ce sont des strates d’histoire s’inscrivant entre 1953 et 1970 la première de juillet 1953 en noir et blanc et la 2ème en couleur dans les années 1970. Dans celles de 1953 on voit une histoire du Palais de sa restauration, le jardin : un parc totalement sauvage, le Palais qui surgit au milieu des arbres ce qui est assez troublant comme image et dans les années 1970 on voit cet engouement populaire déjà très fort avec des scènes très belles et des photos émouvantes et c’est la première fois que je le dis publiquement. Notamment il y a une photo qui représente les gens dans la tour du Petit Génie, fermée depuis 25 ans. Un moment que personne dans l’équipe n’a connu même si certains sont là depuis 25 ans. Voir ces gens dans cette tour est quelque chose qui nous a beaucoup touché.

Place du digital pendant le confinement : votre retour d’expérience

Cela a été une expérience plutôt probante et paradoxalement ce n‘était pas un champ que nous avions théorisé. Le jour où nous avons fermé le Palais idéal, nous avons décidé avec l’équipe qu’il était important de continuer à partager ces phrases du Facteur cheval, ces maximes écrites sur le bâtiment en en postant une par jour jusqu’à la réouverture. Après cela a pris plus d’ampleur même si au départ tout s’est fait de façon très spontanée. Cela a eu beaucoup de succès et j’ai dit d’ailleurs à plusieurs reprises qu’il y a des phrases du Facteur Cheval qui prenaient un sens bien particulier dans ce contexte de confinement et que l’on a beaucoup hésité à poster comme par exemple « Ce n’est pas le temps qui passe mais nous ». Elle est celle qui a eu le plus d’impact sur les réseaux sociaux.

Quels sont vos liens avec l’art brut et que pensez-vous de la place prise par le marché ?

Ce n’est pas facile de répondre à cette question. En fait le Palais Idéal a été associé à l’art brut pour différentes raisons et j’avoue que j’essaie de ne pas le faire rentrer dans une catégorie et d’ouvrir le plus largement les possibles comme on peut le voir actuellement. Si l’on prend l’exposition de Sarah Pucci qui est présentée dans la Villa Alicius, la maison du Facteur il en est de ce même acte créateur sans une volonté de faire œuvre d’art. Dans le cadre du Facteur Cheval il y a une constante importante et qui le démarque de tous les autres artistes c’est cette volonté très forte de partager son œuvre avec le public. C’est lui qui ouvre le bâtiment avant même de l’avoir terminé, qui en assure la diffusion et réfléchit même à sa promotion. S’il a été par la suite classé par Malraux au titre d’art naïf, j’essaie juste personnellement de me dire qu’il reste intemporel et inclassable.

Pourquoi selon vous le Palais Idéal représente une telle fascination sur les artistes ?

Je pense que ce qui parle à de nombreux artistes est cette pulsion créatrice du Facteur Cheval. Le Facteur ne parle jamais de lui en tant qu’artiste et ne parle jamais d’œuvre d’art en ce qui concerne le Palais mais il a la volonté de faire. Une volonté de créer pour quelqu’un qui avait une vie très dure et qui faisait parfois jusqu’à 40kms par jours à pied pour faire sa tournée sans ménager sa peine la nuit au-delà des « railleries de la foule » et de la réticence des autorités locales qui l’obligent à acquérir une concession dans le cimetière de Hauterives pour la réalisation de son caveau familial qu’il entame à 78 ans.

Suspens autour du classement des Monuments préférés des français, qu’est-ce-que cela représente pour vous ?

Je trouve que cela mettrait en valeur le lieu et serait un bel hommage pour le Facteur cheval lui-même. C’est véritablement la preuve de cet engouement populaire qui ne faiblit pas autour du Palais et autour de sa personnalité. D’autant que et Stéphane Bern le disait, tous ces monuments ne sont pas comparables en soi et cela devient après plus des choix personnels. Je trouve assez beau aussi que l’émission ait choisi ce lieu pour représenter la Région Auvergne-Rhône Alpes qui n’est pas un bâtiment fait par un roi, une reine ou des puissants mais une œuvre réalisée par un homme humble qui dans son potager se dit qu’il peut vivre son rêve et construire son propre palais. C’est une notion qui peut sans doute parler à tous et qui fera qu’on deviendra peut-être le monument préféré des français.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven18sep(sep 18)10 h 30 min2021dim17jan(jan 17)16 h 30 minBâtisseurs chimériquesRobert DoisneauPalais idéal du facteur Cheval, 8, rue du Palais - 26390 Hauterives


http://www.facteurcheval.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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