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Feminist Energy Crisis d’Angela Marzullo à Genève

Temps de lecture estimé : 5mins

Le Centre de la Photographie de Genève présente jusqu’au 12 mars, un parcours rétro/intro/prospectif dans l’univers d’Angela Marzullo, axé sur la dimension photographique de son travail, et Makita, son alter ego, héroïne polymorphe, à travers des pièces inédites dialoguant avec des travaux préexistants, réactivés pour l’occasion.

FEMINIST…

L’accès à l’exposition se fait en franchissant un seuil symbolique entre l’espace public et l’espace privé. D’un côté, la plaque de rue bilingue anglais/arabe Milk Grotto, photographiée à Bethléem, là où Marie aurait allaité Jésus, de l’autre un mur recouvert d’une tapisserie aux motifs anglais, sur laquelle est imprimé le Makita Manifesto. Le ton est donné.
Le « personnel est résolument politique » . Les questions relatives au fait d’être femme, de penser et d’exister en tant que telle, de vivre en tant qu’artiste, se doivent de transcender les frontières, qu’elles soient mentales, culturelles, linguistiques, institutionnelles… même si plus loin Makita Piss Off tourne en dérision le marquage de territoire masculin en immortalisant Makita en pisseuse, tantôt prise sur le fait, accroupie à proximité du siège de l’ONU à Genève, tantôt triomphante telles les statues viriles de fontaines baroques.

Suivez la main de diablesse «666» pointant la suite de l’exposition, et passez devant la receleuse Makita proposant clandestinement, en un geste à la fois exhibitionniste et protecteur, des badges appelant à libérer la militante des Black Panthers Angela Davis. Plus loin, Makita se dédouble en un miroir inversé. Regard vert, lèvres fuchsia, oreilles multipercées et coupe en brosse, cet autoportrait en photomaton datant de 1994 présente un être à mi-chemin entre un raggazzo sorti d’un film de Pasolini et une punkette new wave. Il fait face, catatonique, à un tirage de la série Ice Cream réalisée quelques 15 ans plus tard, présenté à l’envers. On y décèle Marzullo engouffrant une glace de manière lascive, sous un barbouillage de ce même mets à même le tirage photographique.
Dans cette même pièce, l’artiste propose aux visiteurs une sélection d’ouvrages lui appartenant, regroupés tels un archipel selon ses sphères d’intérêts, ses affinités électives. Un de ces îlots, intitulé L’ennui de l’art féministe, joue habilement sur les mots quant à l’acception du terme ennui, à prendre d’une part comme « lassitude », et d’autre part comme « s’ennuyer de quelqu’un », se languir en l’absence d’une personne aimée. Multicolor Red Regular Tampons joue non seulement sur le code couleur des boîtes de tampons hygiéniques assimilé intuitivement par les femmes occidentales, mais également sur la double discrimination dont souffrirent les femmes noires aux Etats-Unis lors de la lutte pour l’obtention du droit de vote. L’ensemble Sexocide évoque quant à lui le sort réservé aux femmes accusées de sorcellerie, à travers la figure d’Anna Göldin, dernière condamnée à la peine de mort sous ce prétexte en Suisse en 1782. Une tendance malheureusement loin d’être révolue, lorsque l’on pense à la recrudescence inquiétante de fémicides (meurtre de femme pour le simple fait qu’elle est une femme).

Cet aperçu du terreau d’influences sur lequel s’est construite Makita/Marzullo se poursuit dans la pièce suivante à travers une oeuvre à quatre mains (ou deux esprits) consistant en un dialogue visuel sous forme d’échanges iconographiques entre Nicole Brenez et l’artiste. La première a ainsi conçu Posters pour chambre de petite fille en hommage à Angela Marzullo, born 1971, présenté ici sous forme de diaporama où se succèdent des documents visuels faisant référence à des figures militantes féminines des années 60 et 70, telles Gudrun Ensslin de la RAF, Shigenobu Fusako de l’Armée rouge japonaise, ou encore une combattante vietnamienne anonyme. Marzullo, née à cette période et héritière des acquis et luttes de ses pairs les côtoie en tant que Makita sur son balais de sorcière futuriste. La réponse visuelle proposée par l’intéressée consiste quant à elle en un ensemble de «pièces à conviction» (Evidences) de performances passées de Makita, jouant sur la fétichisation es reliques. Autant d’accessoires et d’éléments de costumes, photographiés
de manière systématique et prêts à être consultés tel un bestiaire des mues successives de l’artiste.

L’occasion donc de faire le point sur le parcours intérieur et intellectuel de Marzullo, en perspective avec l’arborescence des parcours de militantes historiques. On ne peut dès lors pas omettre de mentionner l’importance de Carole Roussopoulos, cinéaste féministe mais avant tout humaniste, dont l’influence a particulièrement marqué Angela Marzullo, qui a du reste pu entreprendre avec elle plusieurs projets avant sa disparition en 2009.

… ENERGY CRISIS ?

Mais passé cette phase introspective, place à la force de frappe toute puissante de l’énergie féminine et créatrice. Si le champignon nucléaire aux allures de symbole de Vénus qui toise les Boys tapis dans leur tranchée dresse avec humour l’hypothèse d’une victoire finale du «sexe faible», le work in progress L’Origine, que l’artiste nourrira quotidiennement durant les 28 premiers jours de l’exposition à 11h du matin sur place, en intervenant sur le quotidien « Le Monde », rappellera quant à lui de manière limpide le point de départ de toute chose humaine, vie ou création. Si elle a recours à une iconographie de la violence ou à une représentation frontale et décomplexée du sexe (Makita Bodybuilding, L’Origine) c’est pour mieux désacraliser, faire sortir de sa niche socioculturelle ce féminisme longtemps scindé et souvent mal compris.

Fidèle au Manifeste de Makita qui ouvre l’exposition, Marzullo rend hommage aux luttes et acquis du passé tout en prônant une réunification des différents antagonismes du féminisme, via une transmission par l’expérience («peer to peer»), une éducation, une construction, un financement, une défense « par soi-même ». Si «crise» il y a, elle s’apparente avant tout à une pause de bilan… avant de repartir de plus belle.

Texte de Maud Pollien

EXPOSITION
Feminist Energy Crisis
Angela Marzullo
Jusqu’au 12 mars 2017
Centre de la Photographie Genève
Bâtiment d’art contemporain
28, Rue des bains
Ch — 1205 Genève
Suisse
http://www.centrephotogeneve.ch
Ouvert du mardi mardi au dimanche de 11h à 18h
http://www.angelamarzullo.ch

La Rédaction
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