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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, l’enseignant, critique d’art et artiste photographe, Bruno Dubreuil partage avec nous sa passion pour la littérature, inépuisable source d’inspiration pour la photographie, ou plutôt comme il l’appelle, « un mode d’action ». Dans son portrait chinois Bruno nous confie d’ailleurs glisser des photographies dans des ouvrages pour les redécouvrir à l’improviste. Ainsi, la littérature, est intimement lié à sa pratique de photographe et il nous explique pourquoi dans cet article.

Tout au long de l’histoire de la photographie, les contraintes techniques n’ont cessé de s’alléger, rendant l’acte de photographier de plus en plus facile, automatique et spontané. Pourtant, décider de prendre une photographie n’a rien d’une évidence et gagne à être questionné. Car la photographie n’a pas vu son pouvoir d’expression diminuer, en témoigne la prolifération des festivals et des expositions. Certes, du temps a passé depuis l’époque où la photographie se donnait principalement pour but de mettre l’inconnu et le lointain à portée de regard, afin de dresser un inventaire du monde. Pour autant, cette triple fonction de reproduction/transmission/conservation n’est pas devenue caduque, et la valeur documentaire de la photographie reste toujours vivace. Mais aujourd’hui, l’usage de l’outil photographique a connu suffisamment d’évolutions, voire de glissements, qui ont modifié les types de lecture qu’elle génère. Aussi ne s’agit-il plus seulement de photographier un lieu, un individu ou un événement, mais aussi aussi de dire le monde. De l’énoncer visuellement et, ce faisant, de l’élaborer en affirmant ainsi notre capacité à le modeler.
La photographie ne peut donc se contenter d’être une simple rhétorique mécaniste, elle doit assumer sa dimension d’écriture.

J’aime passionnément ce medium et me plonge dans les photographies tous les jours. Ce n’est pourtant pas avec des images que ma journée commence, mais avec la littérature.
Jorge Luis Borges, W.G Sebald, Pierre Michon, Marguerite Duras, René Descartes, Claude Levi-Strauss, Samuel Beckett et Claude Simon constituent une partie de mon panthéon littéraire. Guides pour penser, comprendre mais aussi voir. Je les relis régulièrement et, j’ai souvent l’impression qu’à travers cette lecture, je travaille la photographie et médite sur elle. En creux.
Quand je referme le livre, montent non pas les images de ce qui a été écrit, mais celles qui ont couru le long d’une ligne plus ou moins parallèle au texte. Et mieux encore, celles qui suivent l’arrêt des mots. Ces images, ces photographies en germe, ce sont celles-ci qui m’importent vraiment.

© Bruno Dubreuil

Ces univers littéraires n’agissent pas en tant que nourriture ou inspiration, mais comme mode d’action. Ils génèrent chez moi une attitude de photographe dans laquelle les textes cheminent en compagnonnage avec l’appareil photo, comme un arrière-monde qui leste le regard. C’est pourquoi je sors rarement avec mon appareil photo sans savoir ce que je vais photographier, mais plutôt parce que, au cours d’une déambulation ou d’une rêverie précédente, quelque chose a résonné, s’est écrit visuellement. Le visible s’est organisé ou est apparu de manière presque syntaxique, comme pour traduire un sentiment, un état d’âme, un pont entre plusieurs âges ou plusieurs réalités. Et l’image obtenue serait à son tour susceptible d’éveiller ce type de lecture chez celle ou celui qui la regarde.

Il me semble qu’aujourd’hui, je ne sais plus photographier sans ce désir de littérature qui consiste à me dire que là, devant ça, je bute sur ma capacité à dire en mots et qu’alors, enfin, il n’y a plus que la photographie qui puisse le dire.

– Texte & Photo © Bruno Dubreuil

La Rédaction
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