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Avec son nouvel ouvrage publié aux éditions lamaindonne et disponible dès octobre, le photographe belge Simon Vansteenwinckel propose un éclairage singulier sur les peuples autochtones des États-Unis, en particulier la tribu des Lakotas. Il s’intéresse notamment aux chevauchées commémoratives organisées en mémoire du massacre de Wounded Knee, perpétré par l’armée américaine. Si ses images sont empreintes de beauté, le photographe souhaite avant tout contribuer à offrir une nouvelle représentation de ces communautés, loin des stéréotypes associés aux « Indiens d’Amérique ». Cette série, lauréate du Prix International La Cense de la Photographie de Cheval, est actuellement exposée à la galerie Polka.

Portrait de Simon Vansteenwinckel © Adrien Tache

Ericka Weidmann : Comment avez-vous découvert l’existence de ces chevauchées et qu’est-ce qui vous a poussé à les documenter ?

Simon Vansteenwinckel : J’ai découvert ces chevauchées et ces communautés à travers les photographies de Guy Le Querrec, membre de l’agence Magnum, qui avait publié un livre au début des années 1990 aux éditions Textuel. Ce n’est pas l’un de ses sujets les plus connus, mais ses images m’ont marqué. J’ai toujours été intéressé par la culture amérindienne, et lorsque je suis tombé sur ce livre, Sur la piste de Big Foot, avec ces Indiens à cheval portant des cagoules dans la neige, j’ai eu envie d’en savoir plus.

© Simon Vansteenwinckel

© Simon Vansteenwinckel

E.W. : Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ces chevauchées ?

S.V. : En 1890, à Wounded Knee, l’armée américaine massacre 300 membres de la tribu Lakota, dont leur chef Big Foot. Pour commémorer ce drame, depuis 1986, les Lakotas retracent à cheval le trajet effectué par la tribu lors de sa fuite. Aujourd’hui, cet événement est devenu une chevauchée spirituelle, notamment pour les plus jeunes. Dans les réserves, les membres de la communauté sont très isolés et se voient peu. Ces chevauchées permettent de se rassembler : elles ont donc aussi une dimension sociale très forte.

© Simon Vansteenwinckel

© Simon Vansteenwinckel

© Simon Vansteenwinckel

E.W. : Comment avez-vous rencontré cette communauté et commencé à les photographier ?

S.V. : Cela a été assez compliqué, j’ai mis quelques années avant de pouvoir les photographier. C’est une communauté très méfiante. Ils tentent de se préserver au maximum parce que – même si ce sont les États-Unis – c’est vraiment un monde à part. La plupart des journalistes ou des photographes qui pénètrent dans les réserves indiennes viennent souvent pour montrer la misère, la pauvreté, l’alcoolisme, la violence, la drogue, le chômage… Ce sont des sujets récurrents. Les Lakotas ne souhaitent plus être représentés par ce prisme-là. J’ai eu beaucoup de difficultés à trouver une personne qui puisse m’introduire, mais finalement, après plusieurs années de recherche, je suis tombé sur une Natosha Luger, une Lakota qui vit dans la réserve de Standing Rock. Elle fait des lives sur les réseaux sociaux à chaque chevauchée. Il y en a une en décembre, qui est la Big Foot Ride, mais il existe d’autres chevauchées plus petites qui commémorent d’autres événements historiques de leur histoire. Après plusieurs échanges, elle m’a invité. Sans elle, ce projet n’aurait sans doute jamais existé.

E.W. : Quelle a été la réaction des Lakotas face à vos images ?

S.V. : J’y suis allé à trois reprises et j’ai pu leur offrir des photos. Les jeunes sont très ouverts à la photographie ; les plus âgés, un peu moins. Mais mes images ont été bien accueillies, car j’ai pu expliquer mes intentions : montrer la beauté de ce qu’ils faisaient. Cela les a convaincus.

E.W. : Pourquoi le choix du noir et blanc ?

S.V. : Je travaille exclusivement en noir et blanc, c’est ma façon de photographier. Je vois tout en noir et blanc, je fais rarement de la couleur. Cela interprète la réalité, et c’est ce que j’aime. Mais avec un tel sujet, il faut rester vigilant pour éviter une restitution trop poétique ou idéalisée, comme l’image stéréotypée que l’Europe se fait des Amérindiens. C’est pourquoi le livre est accompagné de nombreux textes qui contextualisent les images et rappellent l’histoire et la situation sociale et politique des Lakotas.

© Simon Vansteenwinckel

© Simon Vansteenwinckel

E.W. : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ces voyages ? Qu’avez-vous appris auprès d’eux ?

S.V. : J’ai surtout pris conscience de tous les stéréotypes véhiculés sur ces communautés. Partager trois chevauchées avec eux m’a permis de mieux les connaître. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est leur humour, immense, malgré la dureté de leur quotidien. La vie dans les réserves est extrêmement difficile : l’espérance de vie moyenne des adultes est de 46 ans, la moitié de la population souffre de diabète, le chômage est très élevé, ils se suicident à l’alcool… Mais malgré tout cela, ils ont une grande force de résilience et
continuent à s’adapter et à faire vivre leur spiritualité. C’est cet aspect-là qui m’a le plus impressionné.

E.W. : Votre ouvrage « Aux ombres« , édité par lamaindonne, sortira le mois prochain. Comment est né ce projet ?

S.V. : Pour moi, la finalité d’un travail photographique est souvent un livre. Je suis aussi éditeur (Éditions Le Mulet, en Belgique), donc j’imagine déjà l’ouvrage dès le début d’un projet. Après ma première chevauchée, j’ai présenté cette série à des éditeurs. Je connaissais bien David Fourré, j’apprécie beaucoup le travail des éditions lamaindonne. Naturellement, je lui en ai parlé et il a immédiatement accroché. Avant même la fin de la série, nous savions que nous ferions le livre ensemble.

E.W. : Pourquoi ce titre, « Aux ombres » ?

S.V. : Dans la culture lakota, les ombres représentent les esprits. Le pays des ombres, c’est le lieu où vont les morts. Cette chevauchée vise avant tout à rendre hommage aux victimes de Wounded Knee. Ce titre est donc un hommage à ces personnes, mais aussi à toute leur histoire.

E.W. : Pensez-vous que votre travail puisse faire évoluer notre perception des peuples autochtones aux États-Unis ?

S.V. : Oui, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai mené ce projet. Il est important de montrer un autre visage que celui véhiculé habituellement par les médias européens. En toute humilité, si ce travail peut contribuer à changer la vision que l’on a des réserves indiennes, ce serait formidable. C’est l’un de mes souhaits premiers.

INFORMATIONS PRATIQUES
Aux Ombres
Simon Vansteenwinckel
Éditions lamaindonne
22x29cm, 224 pages
ISBN : 978-2-492920-22-6
40€ en prévente – 46€
https://www.lamaindonne.fr/produit/aux-ombres/

jeu11sep(sep 11)15 h 00 minsam25oct(oct 25)17 h 00 minSimon VansteenwinckelThe Horse NationGalerie Polka, 12, rue Saint-Gilles 75003 Paris

À LIRE
Simon Vansteenwinckel est le premier lauréat du Prix International la Cense de la Photographie de Cheval
Doppelgänger (Wild Morvan Tour) par Manu Jougla & Simon Vansteenwinckel
Chacun cherche son chat Félix aux Éditions Le Mulet

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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