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Comme une préfiguration du centre d’art qui ouvrira sur l’ïle Séguin en 2026, Laurent Dumas, Président fondateur du groupe Emerige, dévoile une partie de sa collection à l’invitation de Numa Hambursin, directeur du MO.CO. Montpellier. Après une première occurrence sous le regard de Jérôme Sans en 2014, la démarche d’Eric de Chassey, directeur de l’INHA, historien et commissaire, se veut plus historique et rétrospective afin de replacer cette scène française dans la période charnière des années 1960 jusqu’ à des artistes émergents dont plusieurs ont été lauréats de la Bouse Révélations Emerige, l’un des dispositifs d’aide et de soutien à la création mis en place par le mécène et collectionneur qui associe chacun de ses projets immobiliers à la signature d’un artiste, selon la charte vertueuse « 1 immeuble, 1 œuvre ».

Vue d’exposition “Parade, une scène française. Collection Laurent Dumas”, MO.CO., 2024, photo : MO.CO./ PaulineRosen-Cros © Adagp, Paris, 2024

Numa Hambursin lui-même ardent défenseur de la scène française, revient sur la genèse de cet ambitieux projet qui s’inscrit dans la tradition du MO.CO. Hôtel des collections autour de mécènes privés engagés. Il est particulièrement sensible à la faculté de Laurent Dumas de se concentrer sur des ensembles d’œuvres et non de répondre à une logique d’échantillonnage à court terme. Comme le déclare Laurent Dumas dans le catalogue de la Collection (volume 1) « L’hexagone n’est pas une no-go zone. Le choc de Jeff Wall ne me détourne pas de l’univers de Gérard Garouste ». Le parcours après un ancrage historique avec des représentants comme Jean-Pierre Pincemin, Alain Jacquet, Daniel Spoerri, Christian Bonnefoi des filiations et renouvellements par Hélène Delprat, Djamel Tatah, Nina Childress, Adel Abdessemed, Tatiana Trouvé se penche également sur la jeune génération avec Edgar Sarin, Paul Mignard, Célia Muller… Le titre « parade » volontiers picassien, est emprunté à l’une des œuvres phare d’Assan Smati qui s’inscrit dans les pas de Martial Raysse. La visibilité de cette scène est l’un des enjeux sous-jacents de ce panorama comme le souligne Numa Hambursin qui propose en parallèle au MO.CO Panacée la mise en avant des jeunes artistes français : Laura Garcia-Karras et Aurélien Potier selon un dispositif de résidence au MO.CO Esba, le tout formant la trilogie opérante de cet équipement culturel d’exception. Il a répondu à mes questions.

Numa Hambursin © Celine Escolano

Quelles raisons vous ont conduit à inviter et mettre en valeur la Collection Laurent Dumas ?

L’une des raisons qui m’ont donné envie d’accueillir la Collection Laurent Dumas s’explique par sa volonté de constituer des ensembles majeurs d’artistes, loin de toute dérive d’échantillonnage sous l’emprise d’art advisors. J’ai toujours eu une passion pour les collections et les collectionneurs, non pas dans une forme d’admiration servile mais autour de véritables questionnements. J’avais organisé dans ce sens au début de ma carrière au Carré Saint Anne de Montpellier une exposition intitulée « L’œil et le cœur » autour de la figure du collectionneur et cette histoire de goût qui ne peut se construire qu’à travers des ensembles qui permettent de voir grandir et évoluer un artiste, de comprendre d’où il vient. C’est l’une des constantes de la démarche de Laurent Dumas qui m’a particulièrement marqué.

Une autre constante est son soutien à la scène française même si comme on peut le remarquer souvent, chacun se sent obligé de prendre des pincettes en abordant ce sujet alors que dans de nombreux pays qui nous entourent, on ne se poserait même pas la question. La France qui s’inscrit dans une histoire universaliste attirait et attire toujours les artistes du monde entier même si cela n’est pas incompatible avec la défense de notre scène et sans aucune honte. A la question qu’est-ce que veut dire la scène française, il convient ainsi d’inclure tous les artistes établis en France ou ayant un lien avec notre pays. Des histoires croisées fertiles.

Vue d’exposition “Parade, une scène française. Collection Laurent Dumas”, MO.CO., 2024, photo : MO.CO./ PaulineRosen-Cros © Adagp, Paris, 2024

Les liens se font naturellement avec l’exposition « Immortelle » autour de la place de la peinture en France qui est le fil rouge de la Collection Laurent Dumas ?

Si « Immortelle » témoignait d’une sorte de combat, la peinture s’impose ici autour d’artistes majeurs dont certains ont un peu disparu des radars comme Jean-Pierre Pincemin que j’avais rencontré tout jeune et pour qui j’ai une profonde admiration. Il y a quelque chose de passionnant dans sa relation abstraction et figuration dans des variations de textures et d’épaisseur ou au contraire de transparence. Nombreux sont les jeunes artistes à se réclamer de son héritage. On ne comprend pas bien pourquoi il a disparu des musées français à l’instar également de Bruno Perramant dont les polyptiques sont d’une grande puissance. Si l’on prend Hélène Delprat qui vient de rentrer chez la puissante galerie Hauser & Wirth, elle n’a pas encore bénéficié d’une grande exposition dans un musée tel que le Centre Pompidou, de même pour Françoise Pétrovitch. Dans d’autres pays ils auraient eu une reconnaissance institutionnelle beaucoup plus impactante.

La Panacée propose en parallèle les expositions de Laura Garcia-Karras et Aurélien Potier, dans le cadre d’une résidence de création au MO.CO. Esba : une articulation à la hauteur de vos missions ?

Nous sommes au cœur de la vocation du MO.CO. et de son dispositif tripartite à travers cette continuité et articulation. D’une part la défense de la scène française se poursuit à la Panacée. De plus, les artistes ont été accueillis 4 mois en résidence au MO.CO Ensba assortie de la production de l’ensemble des œuvres à cette occasion. Une exposition sur mesure. Nous donnons ainsi à voir ce dont est capable notre institution, ce qu’elle peut donner de meilleur. C’est une satisfaction personnelle que je partage avec l’ensemble des équipes du MO.CO.

Autre correspondance : Laura Garcia-Karras avait été présentée dans l’exposition « Immortelle »

Sa peinture incarne l’extrême diversité dont est capable la peinture française qui peut être très matiériste si l’on songe à Jean-Pierre Pincemin par exemple pour arriver à une forme d’écran avec Laura, assez troublant autour du pouvoir caché des plantes.

Parmi les productions l’une des pièces majeures est un plafonnier qui est une forme de clin d’œil à l’exposition du MO.CO. et le dispositif mis en place par Laurent Dumas « un immeuble, une œuvre ». Comme une sorte de teasing à l’attention des promoteurs immobiliers pour leurs futures résidences !

Si l’on revient à Basel Paris, quid de la place de la scène française ?

De nombreux facteurs rentrent en jeu et il est difficile de répondre à cette vaste question en quelques minutes ! Nous avons pris certainement du retard et la scène française a été dévalorisée. Néanmoins et pour rester positif je crois qu’une nécessaire prise de conscience est en cours pour sortir de cet écueil. Je constate aussi qu’un certain nombre de galeries étrangères s’intéressent de plus en plus aux artistes français et l’on parlait tout à l’heure d’Hauser & Wirth avec Hélène Delprat. De plus beaucoup de collectionneurs n’hésitent plus à afficher leur soutien à notre scène. Une évolution salutaire. J’ai remarqué à Basel Paris d’avantage d’artistes français que lors des précédentes éditions. Art Paris mène d’ailleurs depuis plusieurs années un travail intéressant dans ce sens avec l’invitation à Eric de Chassey l’année dernière parmi d’autres commissaires. La scène française en ce qui concerne la peinture est aussi intéressante que la scène allemande, qui pourtant m’est aussi très chère !

Liste des artistes Parade, une scène française :
Avec Adel Abdessemed, Jean-Michel Alberola, Dove Allouche, Arman, Kader Attia, Renaud Auguste-Dormeuil, Romain Bernini, Christian Boltanski, Christian Bonnefoi, Nina Childress, Hélène Delprat, Raphaël Denis, Damien Deroubaix, Erik Dietman, Elliot Dubail, Loris Gréaud, Raymond Hains, Thomas Hirschhorn, Fabrice Hyber, Alain Jacquet, Dora Jeridi, Annette Messager, Paul Mignard, Celia Muller, Bruno Perramant, Kiki Picasso, Loulou Picasso, Jean-Pierre Pincemin, Edgar Sarin, Anne-Marie Schneider, Assan Smati, Daniel Spoerri, Georges Tony Stoll, Claire Tabouret, Djamel Tatah, Agnès Thurnauer, Barthélémy Toguo, Tatiana Trouvé, Ulla von Brandenburg, Rayan Yasmineh.

INFOS PRATIQUES :
Parade, une scène française
Collection Laurent Dumas
Jusqu’au 12 janvier 2025
MO.CO.
13 Rue de la République
34000 Montpellier
https://www.moco.art/fr/exposition/parade-une-scene-francaise-collection-laurent-dumas

PERENNIAL, Laura Garcia-Karras
DÉFAILLANCE DÉSIR, Aurélien Potier
Retrouvez toute la programmation de la saison :
https://www.moco.art/sites/default/files/2024-10/PROGRAMME_AUTOMNE-2024_MOCO.pdf

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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