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WHERE ARE THE F*****% LIMITS ? Virgin Territory

Temps de lecture estimé : 3mins

Rire et avoir peur. D’un instant à l’autre, la pièce Virgin Territory impose son rythme, alternant brutalité et lyrisme de la dérision. Dans le cadre de l’édition 2017 des Rencontres Internationales de Seine Saint Denis, la chorégraphe Charlotte Vincent et huit interprètes adultes et adolescents développent un propos appuyé, fatalement dérangeant, sur le genre, la pulsion sexuelle et la construction capitaliste de nos rapports au désir.

Cela commence par des chiens. Leur présence brutale, hostile, ridicule, renforcée par un dispositif de proximité quadri-frontale. Cette animalité décomplexée dévoile en un prélude le tissage du reste de la pièce. Le travestissement et la thématique du double n’auront de cesse de se déployer. A travers perruques, talons aiguilles, téléphones portables, culottes et produit désherbant, les accessoires jouent le jeu paradoxal de la mise à nu.

Sur la scène d’un banal jardin, banal comme la violence ordinaire, banal comme des chiens, des figures se répètent et trahissent le mécanisme d’une intériorisation insidieuse, portée par des actes reconnaissables. La chorégraphe s’appuie sur des stéréotypes pour défoncer le tabou. On ne sait jamais vraiment quand et si on a le droit de rire. Ni si le rire est jaune, franc ou bombe retardée pour plus tard.

Une bimbo traverse le plateau. Un couple du Moyen Age mime l’amour courtois version porn.

Des êtres augmentés de ballons se déhanchent lascivement.

Et l’on se prend en photo, toujours.

C’est la fête. Toujours l’humour vient compenser le drame. Les personnages courent à perdre haleine et se plaquent au sol. Transformation d’une énergie horizontale, effrénée, métaphore d’une société en pleine vitesse qui engendre ses monstres. Derrière la joie, les rires, tout déraille, à tout instant. La vitalité du ridicule rejoint la dérision du désespoir pour saisir le spectateur.

Et terrasser le dragon.

C’est à tout un système capitaliste, à la fois hyper-sexualisé et hyper-normé, que la pièce s’attaque en tentant de restituer à l’homme, la femme et l’enfant leurs parts d’humanité. La pièce va crescendo, dénonçant la reproduction inépuisable des modèles. La culture du selfie, la quête de jouissance et de domination, la concurrence généralisée des corps. La pièce met mal à l’aise tant elle met à jour la volonté d’asservissement à la source de nos imaginaires libidinaux.

Morsure du plaisir. Boite de Pandore. Colère de Barbe Bleue.

Les corps laissent place aux chuchotements, surtout ne pas crier : voix d’un homme qui contacte fébrile une adolescente fébrile. Compte rendu d’une enquête effarante sur les pédophiles, comme vous, comme moi, sur internet. Extraits d’une discussion où une adolescente confie la difficulté d’une relation simple avec l’autre sexe. Lassitude de n’être qu’une salope. Une poupée avec qui l’on joue, démantibulée, disponible, jetable.

Et les chiens qui reviennent. Restez là, les enfants, surtout, ne bougez pas.

La mise en scène corrosive du regard renverse l’injonction : sortir de ces modèles devient un enjeu de survie du groupe. Non pas survie morale, petit arrangement avec sa conscience, mais survie de l’humanité. Où sont les limites ? Pour ne pas être un chien.

Pour ne pas traiter les autres comme des chiens. Des chiennes.

L’émancipation dans la contrainte.

Pour jouer.

INFORMATIONS PRATIQUES
Virgin Territory
Dans le cadre des Rencontres Internationales de Seine Saint Denis
Vincent Dance Theatre
Les 27 et 28 mai 2017
Mains d’oeuvres
1 Rue Charles Garnier
93400 Saint-Ouen
http://www.rencontreschoregraphiques.com/festival/vincent-dance-theatre
http://www.vincentdt.com/project/virgin-territory/

Marjory Duprés
Marjory Duprés est chorégraphe, rédactrice et directrice artistique de la Cie Jours dansants qu'elle fonde après un cursus transdisciplinaire en sciences humaines (sciences politiques, anthropologie, ethnoscénologie). Elle se forme en danse contemporaine à Lyon puis intègre l'Institut des RIDC de Françoise et Dominique Dupuy à Paris. Son parcours est jalonné par des rencontres avec de nombreux chorégraphes dont Susan Buirge, Christine Gérard, Nathalie Pernette, Ambra Senatore, Loic Touzé, Lia Rodriguez.... Elle séjourne à plusieurs reprises en Inde du Sud où elle effectue une recherche sur les arts et les formes de réinvention de la tradition, la danse classique tamoule, le Bharatanatyam et lʼart martial kéralais, le Kalarippayyat. En parallèle, elle collabore avec des revues d'art, avec le site Mowwgli.com et coordonne des projets en lien avec les nouvelles écritures transmédia (scène, mondes sonores, film de fiction ou documentaire, web, radio, installations et autres techniques mixtes).

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