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Rencontre avec Alexia Fabre, Directrice du MAC/VAL

Alexia Fabre © Gueorgui Pinkhassov
Temps de lecture estimé : 9mins

A l’occasion de l’imposante monographie consacrée à Elisabeth Ballet liée à l’histoire du MAC VAL, Alexia Fabre revient sur ce lien avec les artistes et les temps forts de cette décennie à Vitry-sur- Seine. L’occasion de réaffirmer ses combats et missions au quotidien.

« Notre crédo est le lien qui dure, cette fidélité aux artistes découverts » – Alexia Fabre

9 lives : Le MAC VAL qui a fêté ses 10 ans en 2015 avec ce bâtiment de Jacques Ripault à qui vous rendez hommage a su trouver sa place et affirmer ses spécificités dans ce Grand Paris de l’art contemporain. Comment jugez-vous cette décennie ? et quelles en ont été les étapes décisives ?

Alexia Fabre : Le bilan n’est pas un exercice facile d’autant que nous ne nous sommes jamais arrêtés. Je travaille sur ce projet depuis longtemps, fin 1998, une partie de ma vie, et à l’origine personne n’y croyait ! Il y a avait quelque chose d’incantatoire mais pas légitime à construire un musée si près de Paris dans ce territoire où visiblement il n’était pas attendu. Je me suis finalement lancée dans l’aventure avec une sorte d’inconscience. Et quand je me retourne aujourd’hui et que je vois ce bâtiment je me revois il y a 18 ans avec mes parents qui me regardaient avec un drôle d’air par une journée grise de novembre sur un terrain vague dans une ville qui a tellement changé depuis ! Envers et contre tout, ce qui semblait infertile et impossible est advenu ! Les murs sont sortis de terre, le jardin a poussé sur une ancienne pépinière au départ comme tous les territoires de banlieue dévolus à Paris. Avec les carrières en dessous qui sont devenues des champignonnières, au dessus les vergers pour la nourriture de Paris, alors que là on se nourrit nous-mêmes.
Cela n’écarte pas les difficultés mais le musée s’est enraciné, a pris sa place sur le territoire dont il déborde petit à petit, plus par l’affection sans doute que dans la réalité.
Parmi les temps forts : l’ouverture a été un moment très fort, inoubliable, juste après les émeutes, la fierté de ces habitants de ce que l’on parle d’eux autrement. Une sorte d’appropriation, ce qui ne veut pas dire que tout le monde vient, mais ce lieu existe.
Après la réalité l’emporte.
Les deux invitations de la Ville de Paris pour Nuit Blanche pour Frank Lamy et moi-même restent aussi un marqueur important. A travers nous c’était l’invitation à un musée de banlieue par Paris. Un symbole. Un geste politique au départ de Christophe Girard devenu un geste artistique renouvelé une seconde fois. Pour nous et pour toute l’équipe cela a été une reconnaissance de la ville lumière d’autant que cette cohabitation n’est pas toujours facile. Nous sommes tout près de la plus grande offre muséale au monde, ce qui exclut toute perspective de compétition mais amène à réfléchir sur comment on raconte autrement et autre chose.
Les grands moments restent artistiques au bout du compte dans la rencontre de l’art avec la population, Jacques Monory par exemple à l’ouverture, le pénétrable jaune de Soto rebaptisé les spaghettis par les gamins de Vitry qui reviennent plus grands et se souviennent.
L’inauguration de l’exposition sur le Grand Paris Express liée à notre territoire avec le président de la République, ce qui a été une reconnaissance du musée par des instances nationales. J’ai été heureuse et fière même si cela n’était pas artistique proprement dit, car cela affirmait le rapport du musée à son territoire.

9 lives : Mode de fonctionnement et programmation

A. F. : J’aime cette faculté de rester agiles avec une équipe assez réduite, ce qui permet de pouvoir réagir et ne pas tout programmer à l’avance, pouvoir répondre à des invitations, se saisir des choses. Par exemple nous venons d’être invités par Hélène Orain, directrice du Musée National de l’Histoire de l’ Immigration à participer à un projet avec eux en 2018 sur le sujet de l’hospitalité, ce qui nous a amené à revoir notre programmation pour accueillir ce partenariat. C’est le musée le plus proche de nous et géographiquement et dans l’orientation.
Du coup Frank Lamy se saisit de l’occasion pour inviter l’artiste Mélanie Manchot qui travaille sur ces sujets. Nous allons aussi réorienter notre accrochage des œuvres de la collection pour qu’il questionne aussi ce sujet de l’hospitalité.
Nous allons sauter le pas du périph’ et eux aussi !

9 lives : En terme de public avez-vous noté des évolutions et quelles stratégies mettez-vous en œuvre pour favoriser une dynamique sur le territoire ?

A. F. : On se rend compte que nous sommes face à un plafond de verre même si j’ai été élogieuse dans mes réponses précédentes. En terme de public les études montrent que nous sommes très
ancrés localement, les chiffres ayant un peu évolué de 75% à 65% de public val- de-marnais avec toujours 35 % de Vitriots. Ce qui voudrait dire que l’on gagnerait en personnes de l’extérieur, en maintenant la fréquentation autour de 80 000 visiteurs par an même avec Boltanski et Monumenta au Grand Palais avec un relais médiatique sans précédent. Etonnamment nous avons eu 30% de fréquentation en plus, ce qui n’est pas énorme. Ce plafond de verre s’explique par la distance, cette barrière du périph, certes moins infranchissable mais qui persiste et puis pour le dire simplement c’est le bus à 3 chiffres ! Tout ça est en train de changer avec le Grand Paris.

9 lives : Le Grand Paris, enjeux et mutations du territoire

A. F. : Nous sommes en train de vivre un bouleversement avec cette ligne 15 qui opère une révolution autour de Paris. Elle est circulaire, elle dresse un nouveau squelette sans passer par Paris et embrassant toutes les lignes. Je pense que c’est une révolution dans la vie des gens, ce que l’on commence à voir vers la zone de l’A86 qui est entrain d’être redessinée parce que
désenclavée. Le quartier des Ardoines à Vitry au passé industriel vit un changement radical avec 300 ha à reconvertir autour de la future gare, sans que personne ne réagisse et n’en parle.
Je m’interroge sur ce que deviennent les gens qui habitaient là et vont partir, étant donné la vocation de départ du musée : venir servir ceux qui n’arrivent pas à aller à Paris pour des raisons pratiques, culturelles ou financières. Des conséquences inévitables sont en train de se dessiner comme dans d’autres métropoles et habitant ici je remarque chaque jour de nouveaux immeubles murés. Je pense que l’on va assister à un changement d’activité et de nature du territoire et reste étonnée que l’on ne réfléchisse pas plus à cela. Le musée, lui, va en profiter comme il profite à son corps défendant de ce qui arrive depuis 10 ans et participant involontairement à la requalification du territoire, sans en être le moteur.
On va avoir le métro aux portes du musée autour de 2022 qui nous reliera immédiatement à la ligne 7, la ligne 14 et 8.

9 lives : Quel rayonnement à l’international ?

A. F. : Ce n’est pas notre vocation première, même si petit à petit nous accueillons beaucoup de visites organisées par le ministère de la culture, celui des affaires étrangères, l’Institut français, ce qui nous amène a recevoir des commissaires étrangers et des résidents.
Je suis reconnaissante à ces réseaux qui en même temps nous sollicitent beaucoup alors que nous sommes limités pour leur répondre.
Pourquoi le Québec est-il invité de la collection ?
C’est une belle histoire. Martine Dionne qui s’occupait des arts visuels pour la délégation du Québec en France est venue me voir me proposant de découvrir notre scène. Pour une fois j’ai accepté, suis partie à Montréal et à Québec et ai rencontré des professionnels passionnants avec un désir d’ouverture, notamment la directrice du musée des Beaux-Arts du Québec avec qui j’ai mis en place un projet co-réalisé intitulé « Emporte moi « (2009-2010) une exposition internationale sur l’amour avec des artistes de tous horizons. Ils m’ont invité depuis à assurer le commissariat de la 8è Biennale de Québec, l’occasion de poursuivre avec cette scène. Soulignons qu’ils ont des quotas avec une stricte égalité entre artistes québécois et les autres, mesure qui se discute.

9 lives : Quelles grandes lignes se dessinent de la collection et quelles ont été les dernières acquisitions ?

A. F. : On travaille toujours sur l’art contemporain en France avec un accent mis sur certains manques des années 1980-90 et de suivre des jeunes artistes, comme Tatiana Trouvé que nous avons été les premiers à acheter.
En ce moment nous nouons des relations fécondes avec Clément Cogitore, les collectifs comme Nøne Futbol Club ou We Are The Painters, pour ne citer qu’eux.
Nous défendons cette idée d’être en phase avec des artistes qui regardent le monde.
Il y a de telles urgences et un état tellement douloureux et critique que l’on s’intéresse à ces artistes engagés sur ces questions comme Claire Fontaine à qui l’on vient d’acheter une pièce autour de la notion d’hospitalité, Laura Henno également, et de plus jeunes artistes encore….

INFOS PRATIQUES :
• « De l’intuition au réel,
Hommage à Jacques Ripault »
Jusqu’au 28 janvier 2018
• « Tout En Un Plus Trois », Elisabeth Ballet nouvelle exposition des œuvres la collection
Jusqu’au 25 février 2018
• « Sans réserve » nouvelle exposition des œuvres de la collection
MAC VAL
Place de la Libération
Vitry-sur-Seine (94)
Ouvert tous les jours de la semaine sauf le lundi
Le centre de documentation : du mardi au vendredi de 12h à 18h et le samedi de 12h à 19h
Le jardin : Tous les jours sauf le lundi
Tarif : 5 € (plein), 2,5 € (réduit)
http://www.macval.fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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