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Rencontre avec Fred Boucher, Directeur artistique des Photaumnales
Comment se portent les « petits » festivals de photographie?

Temps de lecture estimé : 10mins

La 15ème édition du festival Beauvaisien, Les Photaumnales, a ouvert ses portes ce week-end. Jusqu’au 31 décembre, la manifestation nous invite à nous interroger sur la relation mémorielle de la photographie à l’histoire. Nous avons rencontré Fred Boucher, directeur artistique du festival, pour décrypter cette nouvelle édition. C’est également l’occasion de parler de la situation des « petits » festivals qui n’ont pas attendu d’aide de la part du ministère pour rémunérer les photographes. Les Photaumnales et Arles reversent les mêmes droits d’auteur aux photographes alors que leur budget respectif est de 180.000€ contre 7.000.000€ !

« Un festival doit être un endroit de découvertes, de rencontres entre photographes et avec le public, mais aussi un lieu de formation accélérée sur le récit des images. »

9 Lives : Pour cette quinzième édition des Photaumnales, vous avez réuni les travaux de 28 artistes autour d’un seul et même thème « Où loger la mémoire ». Pourquoi avoir choisi d’explorer ce sujet ? Et comment avez-vous opéré vos choix curatoriaux ?

Fred Boucher : Nous sommes partis de la résidence de Patrick Tourneboeuf sur les monuments aux morts de la région, qui devait être présentée cette année. Dans cette année de commémoration, il nous semblait important d’étendre cela aux années en 8 (1918, 1958, 1968…), afin de baliser des temps forts dans l’histoire. Ensuite il y a un cheminement dans le choix des artistes mais l’on peut dégager deux grandes approches : La représentation de l’histoire par la photographie, et les traces des conflits dans les paysages; le paysage est une des trames fortes de cette édition, et cette approche nous permet de traverser le siècle en images, sans pour autant avoir à coller à des questions d’événements ou d’actualité.

Le choix des expositions se construit au fil du temps. Nous avons des partenariats avec des commissaires étrangers qui font des propositions dans la thématique. L’exposition au Quadrilatère à Beauvais, développe le propos général de l’édition. Nous essayons de plus en plus de développer un récit, et de provoquer un questionnement pour le visiteur. Cette exposition qui s’étend sur 2000 m2 nous permet de dessiner la colonne vertébrale de l’édition. Depuis l’an passé avec « Couleurs Pays », nous souhaitons aller plus loin que de procéder à une simple succession de portfolios. Un festival doit être un endroit de découvertes, de rencontres entre photographes et avec le public, mais aussi un lieu de formation accélérée sur le récit des images. Une fois les inaugurations terminées, les photographes repartis et satisfaits, le festival vit pendant 3 mois, et développe ses missions.

L’an prochain nous aurons une thématique liée à l’environnement, et en 2020, nous présenterons la commande publique FLUX, avec une programmation liée à cette thématique.

9 Lives : Comment choisissez-vous les photographes exposés ? Quelles sont les expositions incontournables de cette édition liée à cette thématique précisément ?

F. B. : Ce sont des rencontres, des expositions vues, des dossiers reçus, des coups de cœur et des histoires d’amitié également…
C’est difficile de choisir dans toute la programmation, mais il y a « Stèles » de Patrick Tourneboeuf bien entendu. C’est une résidence que nous avons organisé depuis 3 ans, nous avons produit l’exposition et le livre. C’est une vraie complicité avec Patrick et Sylvie Meunier, nous nous sommes battus pour faire le livre, pour moi c’était une question d’engagement et d’amitié !

« Le fleuve Somme », est aussi une longue histoire, depuis 2012. Une résidence de Thibaut Cuisset (disparu l’an passé) étalée sur trois années, et qui n’a jamais été présentée. Aujourd’hui, elle voit enfin le jour dans le cadre d’un nouveau partenariat avec la Maison de la Culture à Amiens, lieu historique de la photographie française des années 80. Nous avons conçu l’exposition et le livre avec Camille, la fille de Thibaut, et Didier Mouchel qui vient de nous quitter… Cette exposition revêt aujourd’hui une symbolique encore plus forte. C’était aussi une façon de rendre hommage au grand photographe de paysage qu’était Thibaut. Un coup de cœur aussi, le travail de Cléa Coudsy et Eric Herbin, une découverte faite à l’Historial de Péronne.

9 Lives : Quels sont les temps forts qui ponctueront cette nouvelle édition des Photaumnales ?

F. B. : Les temps forts sont, pendant la longue période d’exposition, des visites ateliers avec des thématiques variées et différents modes de médiations. On essaye aussi de croiser les disciplines, littérature, danse, histoire… La priorité est mise sur les visites pour les scolaires, avec des outils pédagogiques innovants. Nous organisons une conférence avec Jean-Christophe Bailly sur les photographies de Thibaut Cuisset à la Maison de la Culture d’Amiens. Et bien évidemment un week-end de lecture de portfolio les 30 novembre et 1er décembre, avec des personnalités du monde de la photographie et des directeurs de nos festivals partenaires. C’est un temps important d’échange et de formation pour les artistes de notre région, qui leur permet de rencontrer des professionnels.

« Personne ne se soucie du financement et de la pérennité du festival et de la structure, ni de l’énergie déployée par les équipes. Toutes les structures en France qui s’occupent de photographie au sein du réseau Diagonale sont dans cette même situation et il faut le dire clairement ! »

9 Lives : Actuellement, deux sujets sensibles touchent notre profession – d’une part, le manque de visibilité des femmes photographes et la rémunération des droits d’auteurs d’autre part. Comment se situent les Photaumnales ? A en jugez par la programmation, les femmes sont relativement bien représentées. 

F. B. : Pour les Photaumnales pas de quota, pas de règle, cela se fait naturellement. Si je regarde les résidences que l’on organise depuis des années, les femmes sont majoritaires. Dans le partenariat avec la Finlande, nous n’avons eu que des femmes photographes en résidence. Lorsque nous avons organisé une exposition au festival de Hong Kong, nous avons présenté 7 femmes photographes. Je ne construis pas une programmation en fonction des quotas, mais en fonction de la qualité artistique, c’est à chacun des directeurs de festival de se poser la question, sans avoir à mettre en place des quotas, Les Photaumnales l’ont fait naturellement !

« Visa pour l’image va rémunérer les photographes à hauteur de 1000 euros, et le Ministère participera à ce financement. Formidable, mais à quelle hauteur est la participation du Ministère ? Est-ce une règle applicable à tous les festivals ? Comment allons-nous instruire ces demandes, alors que les Drac n’ont pas de lignes budgétaires pour les festivals de photographie. Ou dois-je comprendre que seuls les festivals à gros budget pourront obtenir encore plus de budget…« 

9 lives : Payez-vous des droits d’auteur aux photographes (et si oui, combien ? 

Fred Boucher © Magali Paulin

F. B. : Pour les droits d’auteur, le sujet est complexe et ne peut se résumer en quelques lignes. DIAPHANE – en tant que centre d’art et maître d’œuvre du festival des Photaumnales – a depuis longtemps pris en compte la rémunération des auteurs : 500 euros forfaitaire. Mais il y a beaucoup de variantes et de cas de figure différents. Si l’exposition est issue d’une résidence, ou si la production de l’exposition demande un effort financier particulier.

Je peux donc m’exprimer très librement sur ce sujet et poser quelques questions… Les festivals doivent-ils être à un marché de diffusion qui se substitue à la presse ou aux autres diffuseurs qui ne payent plus les images ? Dans les pays Anglo – saxons ou de l’Europe du Nord, on estime que le festival est un outil de promotion et de visibilité pour le photographe. On estime aussi que le festival investit de l’argent en termes de com’ et relation presse. Par contre aux pays Bas, le gouvernement a fait passer une loi obligeant les diffuseurs à payer des droits aux artistes.
Quels sont les photographes qui refusent d’être exposés à Arles ou Perpignan? J’en connais même qui sont venus installer eux même leur exposition à Arles cette année… Combien de collectifs ou de photographes sont prêts à investir des sommes folles dans la location d’un lieu pendant la semaine des rencontres à Arles ?

Tout cela est plein de contradictions…

La semaine dernière, j’ai appris sur votre site que Visa pour l’image allait rémunérer les photographes à hauteur de 1000 euros, et que le Ministère participera à ce financement. Formidable, mais à quelle hauteur est la participation du Ministère ? Est-ce une règle applicable à tous les festivals ? Comment allons-nous instruire ces demandes, alors que les Drac n’ont pas de lignes budgétaires pour les festivals de photographie. Dois-je comprendre que seuls les festivals à gros budget pourront obtenir encore plus de budget…

Parlons budget : les Photaumnales c’est 180 000 euros tout compris, avec les salaires et les actions pédagogiques pendant 3 mois. Ce festival n’est financé que par les collectivités. Aucune marque ne participe, aucune entreprise en région ne nous soutient, même pas le cadre du Mécénat ou du dispositif RSE. Tout cela est trop complexe pour les chefs d’entreprises qui ne sont pas très portés sur la culture dans notre région. En fait personne ne se soucie du financement et de la pérennité du festival, et de la structure, ni de l’énergie déployée par les équipes. Toutes les structures en France qui s’occupent de photographie au sein du réseau Diagonale sont dans cette même situation et il faut le dire clairement.

9 Lives : Comment se positionne le festival au sein du territoire ? Comment se situe t-il également dans le paysage des manifestations photographiques ?

F. B. : Au niveau du territoire, c’est très simple :
– Un lieu phare, qui est le quadrilatère à Beauvais où l’on peut développer sur 2000 m2 une exposition manifeste.
– Des lieux culturels partenaires sur l’ensemble de la région plutôt côté sud, c’est à dire l’ancienne Picardie.
– Les 15 galeries en écoles primaires, collèges et lycées.

C’est cela le maillage de la diffusion, c’est comme cela que l’on touche un public au niveau local, cela fait 15ans que Diaphane développe cette stratégie, il faut du temps pour créer des rendez-vous…

Au niveau national, Les cercles :
– Au centre de la renommée Arles et Perpignan.
– Ensuite les périphériques : ImageSingulières à Sètes, la Gacilly, Planche(s) Contacts Deauville et les Photaumnales.
– Des festivals qui lient le temps de résidence et de création ,la constitution d’une mémoire du territoire, une diffusion dans une notion de gratuité et d’accessibilité , une envie forte d’éduquer à la compréhension des images.

9 Lives : Le Festival a mis en place ces dernières années, des ponts à l’international en s’associant à d’autres festivals (Photolux – Italie, Kaunas Photo Festival – Lituanie, Les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie au Québec et la Triennale Photographie et Architecture à Bruxelles). Comment se traduisent ses partenariats ? Quel dynamisme se créé autour des cartes blanches offertes à ces quatre manifestations internationales ? 

F. B. : Ces partenariats ne peuvent se créer et se développer que dans le temps et dans la rencontre avec les autres, c’est avant tout une question de relations humaines avec Enrico, Mindaugas, Claude et Marc.

Une relation de confiance, mais aussi l’envie de dépasser les frontières et de faire en dehors de tous les dispositifs de financement technocratique Européen. On bricole, on organise des résidences, on s’arrange comme on peut, mais au moins on réussit des rencontres, des échanges, des confrontations. On ouvre le champ des possibles.

Ces expositions qui croisent les regards, prouvent que les relations internationales et l’ouverture au monde ne sont pas qu’une question de circulation de marchandise ou de commerce, mais que la rencontre autour des images faites par ceux qui viennent d’ailleurs, devient une forme de langage universel.

INFORMATIONS PRATIQUES

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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