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Rosarium, nouvelle exposition d’Elsa & Johanna à Saint Ouen

Temps de lecture estimé : 7mins

« Rosarium – c’est le soleil qui finira par nous perdre »

Au coeur des Soleils noirs et invisibles de la Mélancolie.

Entre Georges Pérec et Michel Houellebecq existe un aperçu de la contamination des choses, de leur envahissement depuis les années 60 et de la lente désagrégation de la famille nucléaire, effets historiquement contaminant sur la dépression du couple de la petite bourgeoisie, un univers qui est au coeur des photographies d’Elsa & Johanna, tout cela fait spectacle, fait oeuvre dans une déréliction assumée.

Se pose la question de ce naufrage social, de ces dépressions personnelles, de ces faux-semblants et de ces ressemblances, de ces semblances, quand les deux jeunes femmes photographes, se mettent en scène dans un jeu de miroirs au quotidien, mimant et interprétant des attitudes relevées chez leurs contemporains, pour faire images et tendre ainsi un autre miroir entre elles et la réalité, afin de faire glisser le sens.

Faire apparaître ce qui git au fond de la période actuelle, attitudes corporelles (un corps signifiant) induit ce malaise dans la civilisation, sans pour autant vouloir désigner nommément ces dépressions, Elsa & Johanna évoquent ce climat dépressif dans un théâtre de situations qui met déjà en scène cette forme de happening, coeur des photographies pour pouvoir en approcher la raison.

Dépression au coeur du mode de vie de toute une classe sociale petite bourgeoise, de tout un monde factuel régit par ce que le roman de Georges Pérec, dès les années 60 décrivait si bien, une lente destruction des valeurs communes, l’image publicitaire se superposant aux réalités pour établir la suprématie du désir et le faux semblant, l’artefact comme mode dominant de représentation.

Dans le roman Les Choses de Pérec, les rues ne sont plus qu’une immense vitrine où se succèdent les antiquaires, les grands restaurants, les agences de voyage, les tailleurs, les chausseurs, les confiseurs : « C’était pour ces saumons, pour ces tapis, pour ces cristaux que, vingt-cinq ans plus tôt, une employée et une coiffeuse les avaient mis au monde. » ( Jérôme et Sylvie ) ces petits-bourgeois, un peu libertaires, doivent constater avec amertume la disproportion qui existe entre leurs désirs et leur compte en banque. Pérec avait démontré de quelles aliénations cette nouvelle société était prodigue : soit par l’insatisfaction des désirs accrus, soit par la servitude volontaire à l’argent, la perte de liberté.

Michel Houellebecq, quant à lui ne fait que décrire depuis les particules élémentaires tout cet univers petit-bourgeois livré à la dépression généralisée dans une société qui bascule également vers la fin de la civilisation, entraînant avec elle tout et partie des individus s’inscrivant dans ce mouvement ouvert sur le vide et dont la jouissance est destructive après avoir été transgressive notamment sur la question sexuelle.

Part de cette réponse se trouve dans l’animation de Rosarium et de l’immersion proposée dans cette exposition-installation avec multimedia, couleurs vives qui tend à prendre à revers ces soleils de la mélancolie, censés nous perdre, si aucune instance supérieure ne fait contre feu. (ce qu’Elsa & Johanna nous expliqueront dans une prochaine interview.)

L’univers des personnages d’ Elsa & Johanna est tout sauf pauvre, ou dramatique, ce sont leurs expressions corporelles, cet état d’abandon ou de fatigue qui signe ces états dépressifs, immersifs également ou contaminés par les comportements issus culturellement d’un groupe ethnique ou de l’appartenance à cette petite bourgeoisie mondialisée qui semble souffrir du même mal que les deux personnages « Des choses » .

Un vide s’est crée en creux au coeur d’un personnage et se referme sur lui, (parfois on pense aux personnages lynchéens également) comme dans une aporie de réalité et un refuge dans le fantasme, la claustration, la mélancolie, une chose étrange et visiblement impossible à nommer les a envahi, les ronge, les dévore de l’intérieur. C’est ce que photographie nos deux photographes actrices dans une valeur de Mise en images, de mise en scène qui fait à la fois écran et constat, jeu, disposant de ce « fading » que les musiciens de rock aiment à utiliser et de la réverbération du son, en quoi, aussi ces photographies réverbent une part des réalités composites sur lesquelles elles semblent reposer et dont l’enjeu est à la fois de montrer et de dissimuler, paradoxe très actif, au coeur du processus créatif d ‘Elsa & Johanna.

« Rosarium – c’est le soleil qui finira par nous perdre », mais de quel soleil s’agit-il, celui qui éclaire notre ciel et dont la fin est prévue d’ici quelques milliards d’années, le changement climatique qui réduit ce temps cosmique à moins de Cent, cinquante ans, ou celui de la mélancolie qui peut encore réduire notre espérance de vie?

L’exposition est ludique et joyeuse dans l’appétence et l’offre qu’elle propose, intrigante comme jamais dans la re (é)-création des visages et des corps qui font semblance, image et photographie. Tout cela se détache et s’entend dans la complicité retrouvée des deux auteurs, autrices…

Un évitement tient lieu de punctum, le happening est au centre de la représentation, et ce n’est, à mon sens, que par ce détour que s’approche cette raison profonde, donner une représentation et un corps à ces figures mélancoliques dans un univers assez socialement marqué. Une contamination des lieux, salons bourgeois, maisons de campagne, intérieurs chics, semblent vouloir fondre les attitudes des personnages mimés dans leurs décors, réflexe balzacien sans doute, pour accuser cette crise du couple « moderne », interprété par nos deux photographes.

La référence au masculin est prise en charge par le corps féminin et joué, déplaçant la référence vers un contre- théâtre où tous les rôles étaient joués par des hommes, naissance du théâtre grec et Nô, en particulier. revanche historique du happening et de l’époque sur l’histoire.

Tous ces éléments glissent les uns sur les autres, paradoxalement et montrent assez ludiquement des jeux qui font sens au travers des déplacements qu’ils mettent en scène, féminin sur masculin, mimes sur théâtre, théâtralisation, des attitudes, faux semblants sur semblance, vérités sur mensonges vrais. une partie de ce malaise dans la civilisation prend ainsi corps et fait image dans et par la photographie, induisant chez le spectateur, un trouble, censé l’interroger également sur un équilibre en soi de toutes ces valeurs.

Ce jeu de cache-cache troublant s’étend à toute l’exposition Rosarium, à travers installations, films, photographies, design du lieu dans son architecture intérieure et couleurs choisies dans les études faites depuis les années 70 sur ses fonctions relaxantes ou conditionnantes, de fait ce jeu de rôles, s’étend dans Rosarium jusqu’aux murs et mobilier de l’exposition afin de proposer une immersion sensorielle plus discrète que totale, paramétrant, dans cet esprit une sorte d’entrée dans une virtualité ludique et globale, où se joue, in fine une réfraction des peurs et des mélancolies qui façonnent nos quotidiens et dont, une génération voudrait bien s’affranchir.

Dans Rosarium, un peu de Lewiw Caroll donc, dans une discrétion où une distance chabrolienne qui s’affirme paradoxalement ludico-dépressive pour l’enchantement de cette génération qui ne cesse de jouer avec ses morts.

Comme ce fading qui ne cesse de troubler et qui finit par s’imposer dans une séduction aigre douce, Rosarium me semble être un rêve en acte, une jolie vitrine ouvrant sur un double fond obscur qui ne cesse de vouloir s’affirmer comme un enchantement…. quand les ombres finissent par sortir insidieusement du placard, heureusement le cauchemar passe, une nuit calme et limpide déchire le voile où tout ceci apparait alors, comme un jeu de messages codés issus d’un jeu de piste analytique ou d’une enquête policière induisant une solution analeptique, un fortifiant et un remède aux faux-semblants des jeux de rôles ainsi joués derrière le miroir de la mélancolie.

INFORMATIONS PRATIQUES

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Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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