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Pour sa première carte blanche, notre invitée de la semaine, Catherine Merckling, co-directrice à La Chambre (Strasbourg) a choisi de partager avec nous son coup de cœur pour Nikita Teryoshin. C’est le premier artiste que Catherine a programmé lorsqu’elle est arrivée au poste de co-directrice. Découvert par hasard, sur les réseaux sociaux, elle a été séduite par sa démarche critique et engagée d’une société contemporaine à la dérive. Une de ses images issues de sa série Nothing Personal a d’ailleurs été primée au World press photo en 2020. Un travail qui résonne tout particulièrement avec les terribles conflits qui éclatent en Ukraine…

Nikita Teryoshin, Nothing personal, Kielce, Pologne, 2016

J’ai une affection particulière pour cet artiste, qui a été la première exposition que j’ai programmée à La Chambre, après un départ inattendu de la direction.
J’ai découvert le travail de Nikita Teryoshin au hasard de mes errances sur Instagram. Il sortait à peine de l’école mais avait déjà un style percutant et une série en développement bien engagée : Nothing Personal. On y découvre les foires de ventes d’armement sous un angle inédit, qui joue des codes de la photographie de magazine – couleurs vives, netteté impeccable, cadrages esthétiques – pour exprimer une critique caustique mais subtile de ce milieu. Ces foires ne diffèrent finalement pas tant des ventes-expo de voitures ou de piscines de jardin : des stands, des représentants, des acheteurs, des badauds curieux. L’ambiance générale est joyeuse, avec des représentations de danses traditionnelles, des buffets aux jolies serveuses et des visites de tanks pour les familles. Ce beau monde évolue au milieu des missiles dernière génération et des hauts gradés militaires en uniformes.

Nikita Teryoshin, Nothing personal, Minsk, Biélorussie, 2017

Nikita Teryoshin a capturé cette dichotomie avec un art consommé des contrastes entre les plans et de la juxtaposition des opposés. Il sait aussi transmettre un sentiment diffus de malaise en évoquant les tractations qui ont lieu loin des regards, ici en dénichant un homme en complet chic s’isolant pour téléphoner, là en baissant son objectif vers un conciliabule de chaussures cirées. Dans cette série n’apparaît quasiment aucun visage : les personnages souvent de dos ou partiellement cachés gardent leur anonymat car il ne s’agit pas de critiquer des individus, mais un système globalisé. Le marché de la guerre se porte (très) bien, en veillant à recouvrir des étendards du patriotisme et de la technologie de pointe son fonds de commerce : la mort.

Nikita Teryoshin, Space Time Discontinuum

Cette série est son travail le plus important en terme de durée et de quantité : grâce à des bourses, il a pu continuer à photographier des foires sur les 5 continents et ce travail a été largement reconnu – par exemple par un prix du World Press Photo Awards pour l’une des images. Mais l’artiste explore de nombreux sujets du monde contemporain que l’on peut rassembler, selon son expression, sous le terme de everyday horror : les bovidés sans cornes issus croisements à visée productiviste, le business des pompes funèbres, les questions d’image et d’identité en Russie, son pays de naissance, …

Avec son goût de la dérision et son humour noir, Nikita Teryoshin s’empare des absurdités de notre époque. Sa distanciation par rapport au sujet n’est qu’une figure de style, car ce travail nécessite une grande empathie et donne lieu à de véritables engagements, en direction des animaux de refuges par exemple ou, tout récemment, de l’Ukraine.

https://nikitateryoshin.com/

La Rédaction
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