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À l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, le musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin de Paris vient d’inaugurer une exposition consacrée aux femmes photographes de guerre. Elles sont huit et elles ont couvert 75 ans de conflit en apportant un regard singulier aux guerres qui ont déchiré notre monde depuis presque 8 décennies. Le musée vous propose une plongée dans nos histoires les plus sombres.

Gerda Taro,
Soldats républicains à La Granjuela sur le front de Cordoue.
Espagne, juin 1937 © Courtesy International Center of Photography

Lee Miller,
Chirurgien et anesthésiste réalisant une opération dans le 44e hôpital de campagne près de La Cambe en Normandie. France, 1944 © Lee Miller Archives, England 2022

Si le métier de photographe de guerre s’est longtemps conjugué au masculin pluriel, les femmes ont pourtant toujours été présentes sur les zones de conflits. Au moment de la première guerre mondiale, les infirmières au front ont pu – grâce à leur statut – ramener des images inédites. Ensuite, avec le développement de la presse illustrée, ce sont des centaines de femmes partout dans le monde qui ont participé à la couverture des différentes conflit. Elles étaient nombreuses à et leur époque, elles étaient héroïsées et glorifiées. Ceux qui écrivent l’histoire les ont souvent effacées et on a oublié que les femmes étaient bel et bien présentes et qu’elles ont joué un rôle décisif dans la formation de l’image de la guerre.

Dans cette exposition – très sobrement intitulée « Femmes photographes de guerre – l’enjeu est de mettre en avant le travail de huit femmes aux parcours différents : Lee Miller (1907-1977), Gerda Taro (1910-1937), Catherine Leroy (1944- 2006), Christine Spengler (née en 1945), Françoise Demulder (1947-2008), Susan Meiselas (née en 1948), Carolyn Cole (née en 1961) et Anja Niedringhaus (1965-2014). Mais aussi de mettre en évidence l’implication des femmes dans tous les conflits, qu’elles soient combattantes, victimes ou témoins.
Construite en collaboration du Kunstpalast de Düsseldorf, cette exposition présentée à Paris jusqu’au 31 décembre 2022, confronte le visiteur à un regard partagé sur la violence de la guerre. Elle questionne la notion de genre, interroge la spécificité du regard féminin sur la guerre, bouscule certains stéréotypes, et montre que les femmes sont tout autant passeuses d’images que témoins de l’atroce. Sur les fronts depuis près d’un siècle, elles prennent des images sans cacher l’horreur des événements. Certaines y laissent la vie.
C’est le cas ici, de Gerda Taro morte à 26 ans pendant la guerre civile espagnole et de Anja Niedringhaus qui fut assassinée lors de la couverture de l’élection présidentielle afghane en 2014.

Gerda Taro,
Mobilisation générale. Valence, Espagne, mars 1937 © Courtesy International Center of Photography

Anja Niedringhaus,
Des Marines américains font irruption au domicile d’un député irakien dans le quartier
d’Abou Ghraib. Bagdad, Irak, novembre 2004 © Anja Niedringhaus/AP/SIPA

Des questions clé

L’exposition aborde une problématique partagée par les correspondants de guerre : comment témoigner de la sauvagerie de la guerre ? Faut-il passer par une vision crue ou par une euphémisation formelle ? Ces photographes, dont les œuvres vont des conflits européens des années 1930 et 1940 aux guerres internationales les plus récentes, font appel à une grande variété stylistique et narrative. Leurs approches alternent entre le maintien d’une distance objective, le constat et l’implication personnelle. Parmi les photographies, on trouve des aperçus intimes de la vie quotidienne pendant la guerre autant que des témoignages d’atrocités ou des références à l’absurdité de la guerre et à ses conséquences.

Christine Spengler, Bombardement de Phnom Penh,
Cambodge, 1975 © Christine Spengler/Sygma/Corbis

Carolyn Cole,
Prisonniers irakiens après l’assaut d’un ancien poste de police à Kufa, en Irak, par des Marines américains. Ce poste servait de base à la milice du Mahdi. Certains prisonniers ont
déclaré avoir été pris en otage par ses troupes.
Koufa, Irak, août 2004 © Carolyn Cole / Los Angeles Times

Catherine Leroy,
Sans titre [Bombardement américain de la province de Binh Dinh, Vietnam, septembre 1966]. © Dotation Catherine Leroy

Christine Spengler ne montre pas les corps calcinés mais les ruines de Phnom Penh, qui touchent le spectateur sans expliciter la cruauté de la scène. Les cadavres photographiés par Gerda Taro ou par Carolyn Cole à plus de 70 années de distance dérangent tout autant. L’approche de la première est frontale alors que la seconde donne un effet esthétique et calme à sa prise de vue. Catherine Leroy choisit la proximité immédiate avec son sujet et ses images interpellent.

Décrypter l’histoire

Susan Meiselas, Sandinistes devant le quartier général de la Garde nationale à Estelí.
Nicaragua, juillet 1979 © Susan Meiselas / Magnum Photos

Guerre du Liban (1975-1990). En janvier, les phalangistes chrétiens attaquent les palestiniens réfugiés depuis 1947 dans les baraquements du quartier de la Quarantaine. Pour cette photo, Françoise Demulder sera la première femme à recevoir la plus haute récompense : le « World Press » en 1977. Beyrouth (Liban), janvier 1976 © Françoise Demulder / Roger-Viollet

Les images de ces femmes photographes de guerre mettent le spectateur face au destin des individus et face à l’histoire. Le visiteur comprend la spécificité de chacun des conflits. Le rapport entre les belligérants ne paraît jamais symétrique dans ces photographies : les conflits opposent armées officielles traditionnelles et combattants peu équipés. Gerda Taro représente l’armée républicaine populaire espagnole, parfois sans arme, Lee Miller montre à peine les soldats allemands en déroute lors de la Seconde Guerre mondiale. L’impression de déséquilibre s’accentue face aux images brutales de Catherine Leroy mettant en scène la disproportion entre les combattants du Vietcong et les Marines américains. Susan Meiselas photographie les guérilleros rebelles au Nicaragua. Mais ce sont sans doute les images d’Anja Niedringhaus qui mettent en évidence l’inconsistance du surarmement des soldats américains et canadiens face à un ennemi insaisissable en Irak (2004) ou en Afghanistan (2011). Elles repositionnent la Seconde Guerre mondiale dans le contexte plus large des guerres du XXe et du XXIe siècle et montrent l’ancrage profond des affrontements qui secouent la planète. La valeur de ces images va bien au-delà de leur qualité informative puisqu’elles nous apprennent aussi comment l’œil de ces femmes photographes de guerre s’est aiguisé au fil du temps.

INFORMATIONS PRATIQUES

mar08mar(mar 8)10 h 00 minsam31déc(déc 31)18 h 00 minFemmes photographes de guerreExposition collectiveMusée de la Libération de Paris. Musée du Général Leclerc. Musée Jean Moulin, 4, avenue du Colonel Rol-Tanguy Place Denfert Rochereau 75014 Paris

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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