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Carte blanche à Christophe Laloi : L’instinct décisif

© Antoine d’Agata, Mala Noche – Prix Voies Off 1996
Temps de lecture estimé : 4mins

Pour sa première carte blanche, notre invité de la semaine Christophe Laloi, directeur artistique des Voies Off, partage avec nous ses premiers souvenirs de la première édition du festival. Nous sommes en 1996 et il rencontre un photographe discret venu de Marseille. Celui qui lui présente ses diapositives sur la table lumineuse répond alors au nom… d’Antoine d’Agata et remportera le premier Prix des Voies Off…

Nous sommes au mois de juin 1996. La chaleur est écrasante dans la petite salle que nous occupons, presque jour et nuit, pour préparer notre événement. Nous sommes une dizaine, nerveux et concentrés, toutes et tous issus de l’école de la photographie d’Arles. Nous avons cherché les adresses à la bibliothèque de l’école. Nous avons écrit pendant des mois, nos lettres ont fait le tour de la terre. Nous venons de lancer le premier appel à candidature du premier Festival Voies Off. Nous sommes des débutants, nous sommes jeunes et nous sommes heureux. Nous construisons une alternative aux Rencontres de la photographie d’Arles, car nous voulons proposer une tribune pour les jeunes artistes et élargir le champ de la création. Nous préparons nos premières soirées de projection, qui se tiendront sur la place du Forum, habités par la certitude encore naïve que nous accomplirons une belle chose.

Nos efforts sont récompensés. Nous avons reçu un nombre inouï de réponses, plus de 30 pays ont participé, et les auteurs nous ont envoyé des diapositives. C’était une autre époque, où la photographie était portée par une matière, comme le monde dont elle était l’empreinte. Je ne suis ni fétichiste, ni nostalgique de cette époque de la photographie argentique. Je constate juste que tout fout le camp, et que ce monde, qu’on enfermait dans la petite boîte, conservait une saveur. Peut-être à cause des photographies cornées, qu’on aimait offrir à la poussière, sur les étagères de nos maisons d’enfance.

Je me souviens de nos empoignades, pour défendre un travail plutôt qu’un autre, de nos heures de discussions enflammées, de nos désaccords. Nous étions heureux de ce privilège de choisir pour les autres. C’est immédiatement devenu une vocation. Tracer une route, poser des jalons, sans prétention mais avec une belle exigence. Parce que nous croyions à la photographie, nous avions le sentiment qu’elle était en train de changer notre rapport au monde, et de changer le monde.

Au cours de la préparation, nous avions entendu parler, à plusieurs reprises et de sources différentes, d’un photographe vivant à Marseille. Pour ceux qui n’ont pas idée des distances, Marseille est à une heure d’Arles par la route. Dans les langueurs du Sud, souvent beaucoup plus, surtout si vous comptez sur la SNCF pour faire le voyage. Quoi qu’il en soit, les distances se sont raccourcies, et le photographe a répondu à notre invitation, pour nous montrer son dernier travail. Je reçois notre hôte dans la pièce sombre et surchauffée par les projecteurs. J’ai affaire à un homme discret, qui ne s’impose pas, et qui manque peut-être d’assurance. J’ai beaucoup de travail, j’espère ne pas perdre mon temps, mais je reste curieux. Après de courts échanges et un verre d’eau, l’homme pose ses planches de diapositives sur une table lumineuse. Je ne sais pourquoi, presque 25 ans après, je me souviens précisément du nombre de photographies qui nous sont présentées. Il y en a beaucoup, mais pas trop. C’est un travail sombre et beau, déchirant. C’est une gifle au coin de la rue, dévaler en courant le lit d’une rivière, trébucher sur ses pleurs, se réveiller au milieu de la nuit, en sueur, comprendre que la fin viendra. C’est un cri qui rappelle Edvard Munch, si le peintre avait eu le courage de vivre. Cet homme vous plante ses images dans les yeux, pour atteindre le cœur. Il partage son expérience du monde, et vous entraine, bien malgré vous, à la recherche de votre nuit. Au cours de cette rencontre, j’avais eu le privilège de faire la connaissance, aussitôt indélébile, d’Antoine d’Agata, qui obtiendra à l’unanimité le premier Prix Voies Off.

Photographes ! L’appel à candidature pour pour participer aux Prix Voies Off est prolongé jusqu’au 15 avril prochain !

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