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L’art flirte avec l’industrie à Dunkerque, gigantesque !

Temps de lecture estimé : 4mins

Des cascades d’eau sortant d’anciens containers pour symboliser les flux maritimes constants signés Nathalie Brochet et Hugues Rochette, 800 coquelicots de béton dans le jardin du LAAC, la langue de Shakespeare et de Tania Mouraud placardée par des alpinistes sur le site portuaire Rubis Terminal (môle 5), le gigantisme continue de stimuler les nouvelles générations à Dunkerque !

Une « effervescence collective » qui remonte à l’année 1947, décisive, comme le souligne Géraldine Gourbe, philosophe, commissaire avec Keren Detton, directrice du Frac Hauts de France, Sophie Warlop, directrice du LAAC et Gregory Lang, producteur, de cette Triennale ambitieuse et totalement inédite, in door et out door jouant des possibles imaginaires du patrimoine maritime et industriel territorial.

Le Frac Grand Large, la friche industrielle de la halle AP2 et le Lieu d’art et d’action contemporaine (LAAC), déroulent un panorama de la création française entre 1947 et 1989 (chute du mur), souvent occultée face à la prédominance américaine. Une première à bien des égards qui rassemble plus de 200 œuvres dont plusieurs commandées pour l’occasion, le passé étant vecteur d’inspiration du présent. Il était capital de « faire dialoguer Charlotte Moth et Daniel Buren » insiste Géraldine Gourbe.

Un peu d’histoire :

Profondément marqué par les mutations d’après-guerre : Europe de l’acier et du charbon, utopie de l’ère industrielle, émergence d’un paysage nouveau, le patrimoine portuaire de Dunkerque est porteur d’un imaginaire puissant dont s’est saisi très tôt le fondateur du LAAC, Gilbert Delaine, capitaine d’industrie visionnaire qui attire de nombreux artistes à qui il commande des projets grandioses.

Parcours et temps forts :

Cette utopie art et industrie se déroule en 5 temps : le paysage mental, à l’américaine, is a house (ou la révolution domestique), écrans parallèles et points hauts points bas, multipliant les perspectives, résonnances et parcours offerts aux visiteurs.
Parmi les projets emblématiques, Tania Mouraud, dans le cadre du chapitre 1, a conçu pour le site de Rubis Terminal, dans le port, un large diptyque noir et blanc à partir d’une citation de Shakespeare. Delphine Reist réactive la vocation de la HalleAP2 à partir de son installation lumineuse du pont roulant, Tatiana Trouvé se saisit du passé industriel de la filature avec des racks de bobines de cordage, Anita Molinero part du plastique et autres matériaux dérivés du pétrole pour dessiner des mondes fantasmagoriques, Carlos Bunga choisit le carton, à la fois précaire et indispensable aux échanges mondialisés, et enfin Arman et Bernar Venet (« Effondrement »), déjà présents grâce à l’action du LAAC.

Le chapitre 2 revient sur cette modernité française à partir des collections du LAAC et ce paradigme art et industrie, porté par les nouveaux réalistes (Claude Viallat, Gérard Deschamp…). L’automobile (Jean Dewasne et Tinguely, Arman et Bernar Venet), la ville (Takis, Morellet, Nicolas Schöffer), l’avènement des loisirs (Niki de Saint Phalle, Christo, Robert Malaval) participent à cette vision futuriste portée par une nouvelle sémantique et poétique (Jacques Villeglé, Matt Mullican, Vera Molnar, Isidore Isou ou Roland Sabatier).

Le 3ème chapitre explore en écho avec la collection du Frac Grand Large et sur les 3 niveaux de son bâtiment symbolique signé Lacaton&Vassal, la sphère intime et l’apport du décoratif artistique français dans la modernité européenne et américaine, avec des artistes comme Daniel Buren, Yves Klein, Simon Hantaï, Bernard Pagès, Patrick Saytour, Pierrette Bloch.

Une réévaluation à l’origine de la naissance d’un courant minimaliste européen (Aurélie Nemours, Marcelle Cahn…) qui influence les designers (Pierre Paulin, Roger Tallon, Superstudio..), généralisant une sérialisation des pratiques et standardisation des intérieurs. Face à ce formatage domestique, une mise à distance s’opère par la dénonciation ou l’ironie, avec des artistes comme Michel Journiac, Daniel Spoerri, Alain Jacquet, Jacques Monory.
Le 4 ème chapitre rejoue l’horizon cinématographique de Dunkerque et son imaginaire maritime et urbain à travers un programme de cinéma semi-permanent au LAAC, conçu par la critique et commissaire, Pascale Cassagnau, en partenariat avec le CNC.

Le dernier volet propose des parcours permettant de mesurer par le regard ou l’écoute le gigantisme du territoire, à partir d’interventions d’artistes ou de chercheurs. Du toit de la Halle aux Sucres au Belvédère du Frac, de multiples passerelles et constellations se dessinent, ouvrant sur des prolongements inédits sur toute la région. Une utopie vibrante et fédératrice, locale et globale, industrielle et populaire, qui repense la place de l’art et de l’artiste dans un univers standardisé, impliquant tout un réseau d’entrepreneurs extrêmement impliqués comme on le constatait le jour du vernissage. Gilbert Delaine qui parlait volontiers de far west dunkerquois avait vu juste !

INFOS PRATIQUES :
Gigantisme, Triennale art et industri
du 4 mai au 5 janvier 2020
Pôle d’art contemporain de Dunkerque
FRAC Grand Large et Halle AP2
503 avenue des Bancs de Flandres, Dunkerque
LAAC lieu d’art et d’action contemporaine
302 avenue des Bordées, Dunkerque
http://www.gigantisme.eu/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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