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Rencontre avec Aurélie Viel, Responsable du Prix Bayeux Calvados-Normandie des Correspondants de Guerre

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C’est aujourd’hui que s’ouvre la 26ème édition du Prix Bayeux Calvados-Normandie des Correspondants de Guerre. À cette occasion nous avons rencontré Aurélie Viel, responsable de la programmation, en poste depuis quinze ans. L’occasion pour elle de nous présenter les temps forts de cette nouvelle édition, mais aussi de nous parler parité, budget et respect du droit de représentation pour les photographes…

9 Lives Magazine : Quels sont les événements à ne pas rater pour cette 26ème édition du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre ?

Aurélie Viel : L’une des expositions phares de cette édition est consacrée à l’Afghanistan. Et plus précisément au triste anniversaire des 40 ans de conflit qui déchire le pays. Le commissariat est assuré par le journaliste et correspondant de guerre français Jean-Pierre Perrin. Dans cette exposition intitulée « Afghanistan : le terrain de guerre du monde », nous faisons un retour sur l’histoire de ce conflit, avec notamment l’invasion des soviétiques ou encore l’arrivée des Talibans… nous y explorons également le positionnement des femmes afghanes. Elle rassemble 80 photographes, et est notamment alimentée par des reportages radio et télévisuels, car il est important d’avoir de multiples regards pour raconter cette histoire qui a débuté en 1979. Pour l’occasion, nous avons transformé une ancienne école primaire en lieu d’exposition pour accueillir tous ces reportages. La scénographie, assurée par Laurent Hochberg, est très importante : au sol, nous avons installé une gigantesque carte de l’Afghanistan avec ses pays limitrophes et une grande frise chronologique pour rappeler les dates clés.
Nous avons aussi « Alep Machine« , une exposition tirée du récit documentaire et littéraire, « Le fil de nos vies brisées« , de Cécile Hennion. Nous y présentons des témoignages de syriens, extraits du livre, en regard avec des œuvres d’artistes syriens. C’est une exposition dense et très intense, avec de la photo, de l’audio, de la peinture et une maquette faite par un jeune syrien, Mohamed. Alors qu’il vivait encore à Alep, il a reconstitué une partie de sa ville en papier mâché, il a réussi à sortir cette maquette quand il a fui le pays. C’est la première fois qu’elle est présentée en France.
Enfin, en plus des 8 expositions, nous présentons également une expérience en réalité virtuelle proposée par la BBC pour un voyage immersif à travers la République Démocratique du Congo.

Gary Knight
Président du jury de la 26e édition
© Alizé Le Maoult

9 Lives Magazine : Cette année, vous accueillez un photoreporter comme Président du Jury. Il s’agit de Gary Knight, pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

A. V. : Gary Knight est l’un des photographes de guerre les plus aguerris de notre époque. Il est aussi co-fondateur et directeur de l’Agence VII, qui a été désignée comme la troisième entité la plus influente de la photographie par le magazine American Photo en 2003. Il a marqué par son travail de photojournaliste, mais il est également très investi dans le métier. C’est important de pouvoir saluer cet engagement en le conviant à être notre Président du jury. Nous étions très heureux qu’il accepte cette invitation, et lui était enchanté de participer pour avoir cette diversité de regards par la multitude des médias que nous récompensons avec la radio, la télévision, la presse et bien sûr, la photo.

9 Lives Magazine : Pouvez-vous nous parler du lien entre la ville de Bayeux et la mise en lumière des correspondants de guerre ?

A. V. : Ce lien est bien entendu historique. Bayeux a été la première ville libérée de France, c’est la ville la plus proche des plages du débarquement. Ici, la seconde guerre mondiale est encrée en chacun, dans toutes les histoires familiales. Chaque foyer est très concernée par la notion de liberté, très présente ici. Il était donc logique de continuer à protéger cette liberté, en créant une manifestation rendant hommage à tous ces correspondants de guerre qui mettent leur vie en danger pour informer et dénoncer ce qui se passe aux quatre coins du monde. On se rend compte qu’il y a un vif intérêt du public pour notre manifestation. La première semaine avec le Prix Bayeux, les expositions sont très fréquentées, les soirées qui se déroulent sous un chapiteau temporaire de 1600 places font souvent salle pleine ! C’est plus de 10% de la population Bajocasse ! Et tout le reste du mois, l’intérêt reste le même. Le gens ont envie, ils sont curieux et pour cela nous avons beaucoup de chance.

« Le triste constat est que ce métier est de plus en plus difficile à exercer, à en juger même par la place de l’actualité internationale dans les médias qui diminue. Il y a des conflits particulièrement meurtriers pour les correspondants de guerre. Chaque année, on déplore de graver des noms sur ces stèles, quelque soit leur nombre, c’est toujours trop…« 

9 Lives Magazine : Dès l’ouverture de la manifestation en 1994, vous avez ouvert un mémorial pour les reporters ayant perdu la vie dans l’exercice de leur fonction qui rassemble plus de 2000 noms. Comment jugez-vous l’état de ce métier en 2019 ? 

A. V. : On voit évidemment l’évolution du métier, la précarité des photographes, la difficulté de vendre les sujets mais aussi celle de couvrir certaines zones. On se rend compte qu’il y a des zones noires où les journalistes ne sont pas autorisés à pénétrer. Le triste constat est que ce métier est de plus en plus difficile à exercer, à en juger même par la place de l’actualité internationale dans les médias qui diminue. Nous pensons donc qu’il est important d’avoir des manifestations qui mettent en valeur leurs travaux et qui leur offre de la visibilité, car on leur laisse de moins en moins de place.
Il y a des conflits particulièrement meurtriers pour les correspondants de guerre, comme la guerre en Irak par exemple, malheureusement énormément de journalistes y ont perdu la vie. Chaque année, on déplore de graver des noms sur ces stèles, quelque soit le nombre, c’est toujours trop…

9 Lives Magazine : C’est un secteur particulièrement masculin, votre manifestation porte t-elle une attention particulière à la présence des femmes pour atteindre une parité ?

A. V. : C’est de moins en moins vrai, la présence des femmes journalistes en radio, en télé ou en presse écrite augmente. Beaucoup figurent dans les sélections des prix. La sensation qu’elles sont moins nombreuses provient sans doute du fait qu’on parle moins d’elles.
La volonté de parité n’entre pas du tout en compte dans nos sélections pour la simple et bonne raison que tous les reportages sont présentés de manière anonyme, sans nom, ni genre. (Sauf pour la radio ou la télévision où on peut savoir si le journaliste est un homme ou une femme…)
Dans l’ensemble nous ne sommes pas encore à 50/50. L’an passé nous avons reçu Christiane Amanpou comme Présidente du jury au palmarès. Gwendoline Debono a remporté, pour la deuxième année, le Prix Radio, Paula Bronstein le Prix du Public Photo, Nima Elbagir le Prix Télé, ou encore Stéphanie Perez le Prix Région des lycéens et apprentis. (4 femmes contre 6 hommes).

9 Lives Magazine : Quel est le budget de fonctionnement du Prix Bayeux ?

A. V. : Le budget est de 550.000 euros. Cette manifestation est financée par la ville de Bayeux qui porte le Prix Bayeux, accompagnée du département Calvados et de la Région Normandie. Nous avons également des partenaires privés qui viennent parrainer les prix, et qui contribuent à la dotation.

9 Lives Magazine : La manifestation paye t-elle des droits de représentation aux photographes exposés ?

A. V. : Oui, c’est un point d’honneur de rémunérer les photographes. Après sur des grosses expositions comme l’Afghanistan où il y a 80 photographes, ce n’est pas toujours évident, nous travaillons surtout avec les agences.
De plus tous les tirages d’exposition sont offerts aux photographes. Lors de l’exposition, le photographe choisi sa scénographie, avec les formats des tirages, les cadres ou les contrecollages, et après l’exposition il en est propriétaire.

9 Lives Magazine : Avez-vous un (ou plusieurs) sujet.s primé.s ou exposés qui vous a/ont marqué.s ? 

A. V. : Une des expositions qui m’a le plus marquée est celle de Laurent Van Der Stockt à la Cathédrale qui a eu lieu en 2014. C’était extraordinaire, parce que le lieu est emblématique, et comme nous n’avions pas le droit d’utiliser de clou ou quoi que ce soit d’autre pour l’accrochage, il a usé d’ingéniosité en utilisant l’architecture de l’édifice pour y intégrer ses images sur la Syrie. Le résultat était tout simplement bluffant. D’ailleurs tout le monde a été impressionné par cette performance, et on en parle encore aujourd’hui. (Voir le blog de Michel Puech avec les images in situ).
Et puis il y a aussi l’exposition de l’an passé, sur l’histoire du reportage de guerre, qui a elle aussi beaucoup marqué les esprits. On a déroulé toute l’histoire depuis la guerre de Crimée, il y avait des documents incroyables…

[Update du 14.10.19] : Patrick Chauvel a remporté le Prix du Jury International du Prix Bayeux Calvados-Normandie. Retrouvez le palmarès en cliquant-ici.

Les regards des Djihadistes capturés en disent long sur leur état d’esprit, la fin de Baghouz est loin d’être la fin du problème. © Patrick Chauvel pour Paris Match 

Retrouvez le programme détaillé du festival :
http://www.prixbayeux.org


#payetonexpo :
La manifestation rémunère les droits d’auteur.

#parité :
Majoritairement masculin, mais le Prix se fait de manière anonyme sans distinction d’identité et de genre.


INFORMATIONS PRATIQUES 

lun07oct(oct 7)10 h 00 mindim13(oct 13)18 h 00 min26ème édition du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerreMairie de Bayeux, 19 Rue Laitière 14400 Bayeux

A LIRE :
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Prix Bayeux-Calvados : Jeremy Bowen, président du jury

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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