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Si le 8 mars est la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, c’est tout le mois mars qui est devenu au fil des années, une période importante pour le combat des femmes. Comme l’an passé, Frédéric Martin a souhaité donner de la visibilité aux femmes photographes mais également aux éditrices des maisons d’édition. Durant tout le mois de mars, il partagera avec nous des chroniques de livres qui se conjuguent au féminin pluriel. On poursuit ce rendez-vous éditorial avec « 3,45 hectares / 637 jours » un ouvrage de la série documentaire sur la friche de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul de la photographe Catherine Griss.

Sur la friche de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris dans le XIVème, une expérience étonnante et originale, Les Grands Voisins, a été initiée entre 2015 et 2020. Cet espace laissé à l’abandon a été investi par plusieurs milliers de personnes afin de répondre aux besoins fondamentaux de l’être humain : logement, nourriture, réalisation de soi. Un habitat temporaire, un projet de tiers-lieu, une utopie humaniste.

Catherine Griss, photographe documentaire, a passé de longs jours en ce lieu et nous livre dans son ouvrage 3,45 hectares/637 jours, non pas un état des lieux ou un reportage un peu sec et froid, mais plutôt une somme d’instants et de visages, un mouvement de vie de cette expérience.

© Catherine Griss

Les mains façonnent, les arbres fleurissent. On sourit en toute simplicité pendant que des moutons paissent à côté d’une statue. Il reste des traces de l’ancien hôpital, des câbles, des blocs, des panneaux, mais au fond le lieu perd peu à peu cette identité pour en trouver une autre.

Des autres.

Parce que c’est Carnaval on se grime, on se maquille. On ne perd pas son temps, on débat, on discute. Et un Christ miséricordieux penche son regard sur cette immense expérience d’humanité. Ils sont peut-être ici les nouveaux apôtres, ceux qui vont prêcher la nouvelle parole de l’amitié, de la fraternité et l’égalité. Parce que cette expérience des Grands Voisins, c’est ça : un tiers-lieu où l’Être humain prend enfin toute sa place. Il y a des projets, des volontés et peu importe qui tu es, on t’accueille et ta propre essence participe à l’essor du lieu.

© Catherine Griss

Catherine Griss a passé 637 jours sur ces 3,45 hectares. Soit presque deux ans. C’est beaucoup, c’est énorme même. Et son livre possède cette immensité. D’abord parce qu’il porte la vitalité qui habite l’endroit. Là où il ne restait plus qu’une friche destinée aux urbexeurs, s’est créée une société. La photographe en s’insérant dans celle-ci nous en livre la chronique. Ses images portent une histoire, un véritable conte philosophique : celle d’une utopie humaniste qui deviendrait réalité. Ce n’est pas encore Thomas More, mais nous n’en sommes pas loin.

Alors quand Catherine photographie les habitants, des poules, des sourires, des escaliers, des branches coupées, elle ne prend pas simplement des images, mais elle livre sa version de ce récit merveilleux et libertaire.

© Catherine Griss

Il faut bien plus d’ouvrage comme 3,45 hectares/367 jours afin que des expériences comme Les Grands Voisins se reproduisent à l’infini. En effet, quelle normalité au fait qu’en plein cœur de Paris, là où le mètre carré se négocie à minima à 10 000€, des espaces se retrouvent complétement vacants ? Aucune. Alors que les populations marginalisées se retrouvent expulsées des centres urbains, mises à l’écart de la société, un projet comme celui-ci donne une idée précise de ce qui pourrait être mené dans un pays qui est censé défendre Égalité et Fraternité.

Mais, si personne ne s’attelle à rendre les choses visibles…

© Catherine Griss

C’est là que les images de Catherine prennent toute leur importance. Non ce n’est pas un bidonville, un taudis ou n’importe quelle décharge que ce projet. Oui on sent le bonheur à travers les pages, on sent la joie de ceux qui vivent là, qui ont enfin un projet, des envies, et surtout la possibilité de mener les deux.
Par moments, des bribes de phrases apparaissent au fil du livre. Ça parle de poules à enterrer, de pince à couper, de frigo et de compost. Et il y a même cette phrase géniale : « Quand tu arrives au Grands Voisins tu as l’impression que c’est un truc touristique. ». Tout ceci permet, une fois de plus, d’éviter d’oublier que nous avons à faire à des êtres humains, des hommes et des femmes qui mangent, dorment, s’aiment, et espèrent.

© Catherine Griss

L’avenir de l’humanité est peut-être là, certainement même. Dans un vrai retour à la fraternité… Tous les Hommes naissent libres et égaux, paraît-il. C’est une vérité absolue que malheureusement bien des personnes ont oublié. Mais, par la magie de livres comme 3,45 hectares/367 jours, par la volonté de certain.e.s il reste possible d’y croire encore.

Merci donc à Catherine Griss d’avoir donné deux ans de sa vie à ce projet, de l’avoir ainsi documenté, fouillé, approché, mesuré, compris et restitué. Grâce à elle, un pas de plus face à la barbarie a été accompli.

INFORMATIONS PRATIQUES
3,45 hectares / 637 jours
Catherine Griss
Graphisme : Anne Ponscarme et Olivier Fontvieille – offparis.fr
Quadrichromie images : Bruno Cordonnier – Atelier Surexposés
Impression : Escourbiac
184 pages
ISBN : 979-10-699-2104-7
Types de papiers utilisés :
– Couverture : imprimée sur carte 1 face 280 g
– Intérieur 168 pages : imprimé sur
offset blanc Lys Galilée 140 g
– Intérieur 16 pages : imprimé sur Sirio Color Perla gris 80 g
35€
https://catherinegriss.fr/fr/accueil

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

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