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Pour sa première carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe et fondateur d’Ithaque, Alexandre Arminjon nous parle de ses débuts dans la photographie. Une passion arrivée tardivement puisqu’il l’a découverte il y a une petite dizaine d’années, à l’âge de 29 ans. C’est de la photographie traditionnelle argentique qu’il est tombé amoureux, ne quittant plus son boîtier Leica et appréciant le temps suspendu du développement et du tirage en chambre noire… Vient ensuite sa deuxième passion, pour l’Iran qu’il découvre en 2017 et qu’il n’a de cesse d’aimer. Aujourd’hui, il nous partage ce premier chemin de vie en texte et en images.

Marché au bétail, Kashgar, Chine, 2014 © Alexandre Arminjon

J’ai commencé la photo sur le tard, à l’âge de 29 ans. Auparavant, j’avais fait des études de commerce qui m’ont donné le goût du voyage et de l’esprit d’entreprise, avec des expériences professionnelles aux Etats-Unis et en Chine où j’ai habité trois ans et monté une petite boîte de conseil. D’ailleurs mon premier voyage photographique était en Chine, 6 ans après avoir cessé d’y résider, j’y suis parti 6 semaines à l’improviste, comme un photographe de rue, sans avoir de rendez-vous avec personne. Au moment de ma transition vers la photographie, je sortais d’une crise professionnelle comme de nombreux jeunes qui ont cherché du travail dans le domaine de la finance en 2008, après la faillite de Lehman Brothers. J’étais particulièrement mal dans ma peau en costard cravate et je rends grâce à la vie de m’avoir permis de trouver un autre chemin.

Derrière les tours du silence, Yazd, Iran, 2017 (solarisation) © Alexandre Arminjon

Vieille ville de Yazd, Iran, 2017 (solarisation) © Alexandre Arminjon

Dans ma pratique de la photographie, j’ai d’abord attrapé le virus du noir et blanc et de la chambre noire autour de 2013-2014, et quelques années après j’ai attrapé le virus de l’Iran. Les deux me collent à la peau et je me considère comme très chanceux de les avoir attrapés. Comme je suis un fils à papa, j’ai pu commencer la photographie d’abord en 24×36 avec un boîtier Leica M6 qui ne m’a jusqu’ici jamais fait défaut en 10 ans. Je le garde toujours comme un bloc-notes. Un an après avoir commencé la photographie immédiatement d’une façon obsessionnelle et systématique, j’improvisais mon premier laboratoire dans une cave poussiéreuse et remplie d’araignées que j’ai bien sûr enlevées dans la maison familiale. Je prenais soudainement goût à une activité manuelle et artisanale, moi qui avait plus un naturel rêveur et décalé. A mon sens, pour caractériser le mieux le noir et blanc argentique, il y a un mot allemand dont on ne peut pas faire l’économie : Präzisionsarbeit. Il faut être très expérimenté pour se passer de précision et de discipline, en fait je crois que ce n’est pas possible. Dans une chambre noire, l’objet le plus important n’est pas l’agrandisseur, qu’il soit grand ou petit, mais l’horloge, le photographe reste soumis au temps, et moi qui ait hélas un naturel excessivement impatient et autrefois parfois incontrôlable je crois que cela m’a fait beaucoup de bien de me soumettre à cet horloge, d’apprendre à respecter le temps dont les choses ont besoin pour se développer, apprendre que dans la vie quand on s’obstine à chercher des raccourcis dans la plupart des cas on ne fait que perdre du temps.

Les trois âges de l’Iran (Esfahan, mosquée du Shah, janvier 2022) © Alexandre Arminjon

Téhéran, banlieue sud, Janvier 2022 © Alexandre Arminjon

En 2017, je suis parti en Iran sur un coup de tête pour essayer d’impressionner une amie d’origine iranienne. J’ai été frappé par ce que j’appelle l’étrange familiarité iranienne, c’est à dire que lorsqu’on arrive en Iran, le dépaysement n’est pas du tout comparable à celui qu’on ressent en Chine ni même au Caire. Comme tant d’autres voyageurs j’ai été ébloui par le raffinement et la politesse des iraniens, et aussi par les déserts sauvages et chauds. En 2017, le climat pour les occidentaux en Iran était encore à peu près convenable, il était possible d’arriver sans visa à l’aéroport de Téhéran. J’y suis retourné deux fois en 2022 et j’ai commencé là bas à réaliser une série de portraits d’Iraniens rencontrés de façon improviste. J’ai toujours pensé qu’il était mieux de ne pas poser de questions politiques aux iraniens ou de ne pas garder le contact avec eux sauf à quelques rares exceptions, car dans l’impitoyable régime autoritaire actuel, il peut être très dangereux pour les iraniens d’avoir des contacts avec des étrangers. Le visage que me montraient les Iraniens était en complète contradiction avec le visage construit par les médias classiques qui véhiculent dans la plupart des cas et de façon probablement inconsciente des clichés islamophobes et coloniaux : l’Iran ne serait pas un mystère à vivre, mais un pays truffé de ressources qu’il faudrait civiliser à l’occidentale et tâcher de dominer, oubliant qu’on a affaire à une des plus anciennes civilisations de l’histoire.

Sur l’autoroute de Karakoram, Chine, 2014 © Alexandre Arminjon

En Chine, j’ai résidé trois ans mais je n’ai pas pris racine, je n’ai pas développé de véritable amitié avec les chinois car je ne fréquentais que la communauté expatriée. Aujourd’hui probablement la moitié de mes amis sont iraniens et au fil du temps j’essaye d’apprendre la langue persane. Plus j’en apprends sur ce pays et plus il m’échappe et plus je me sens ignorant, en fait l’Iran est plus un monde qu’un pays. J’ai préféré intensifier mon intérêt et ma passion qui m’échappe pour l’Iran, souvent on me demande, “ah bon, pourquoi l’Iran”, comme si j’étais un fou, et cela me donne à chaque fois envie de m’y intéresser encore un peu plus.

https://www.ithaque-paris.fr/

La Rédaction
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