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Pour cette quatrième édition, le Prix Viviane Esders s’ouvre à l’Europe ! Grâce à un réseau de nominateurs composé de 30 experts européens de la photographie, plus de 220 candidatures ont été reçues, en provenance de 25 pays membres de l’Union européenne. Rappelons que ce prix, doté d’un montant important (60 000 € au total), s’adresse aux photographes indépendants de plus de 60 ans, encore en activité. Le jury s’est réuni pour sélectionner les trois finalistes de cette édition, dans l’esprit d’une (re)découverte de carrières. Ainsi, Dörte Eißfeldt, Oleksandr Suprun et Bohdan Holomíček sont en lice pour devenir le 4e lauréat du Prix Viviane Esders.

Les 222 candidatures proviennent de toute l’Europe. Parmi elles, 45 ont été soumises par les nominateurs, un nouveau groupe d’experts européens de la photographie chargé d’identifier des artistes. Au total, 25 pays sont représentés, contre 17 en 2024. On note également une progression encourageante des candidatures féminines, qui atteignent 32 % cette année, contre 28 % l’an passé.

Nous vous invitons à découvrir les trois finalistes de l’édition 2025, en lice pour remporter le Prix et succéder à Jean-Claude Delalande, troisième lauréat, décédé en avril dernier. Le ou la lauréate reçoit 50 000€ de dotation dont 10 000€ consacré à la production d’un livre et les deux finalistes auront une dotation de 5 000€ chacun.

Finaliste 2025, Dörte Eißfeldt
Allemande, née en 1950

Tageslichte 67 (Daylight), 2017 © Dörte Eissfeldt

Née en 1950 à Hambourg en Allemagne, Dörte Eißfeldt est une figure de la photographie contemporaine allemande, dont l’œuvre explore les potentialités formelles et conceptuelles du médium. Formée à l’Université des beaux-arts de Hambourg, elle enseigne dans différentes institutions jusqu’à sa nomination en 1991 comme professeure d’arts plastiques et de photographie à la prestigieuse Braunschweig University of Fine Arts, poste qu’elle occupera jusqu’en 2016.

La pratique artistique d’Eißfeldt s’articule autour d’une interrogation sur le statut et les procédés de l’image photographique. « La photographie est pour moi un travail à partir de fragments de réalité ; c’est une expérimentation avec la matière, qu’elle soit issue du processus analogique ou numérique, avec pour objectif de créer, à travers l’œuvre, un lien autonome, intense et en même temps ouvert avec le monde. Il s’agit de laisser agir — ou advenir — dans l’image ce qui est sauvage, obscur, insaisissable, ou beau, sous une forme ouverte, stimulante, surprenante, qu’elle soit très grande ou infiniment petite. ».

Elle manipule lumière, chimie et papier dans des processus analogiques et hybrides, confrontant les techniques traditionnelles — solarisation, montage, expositions multiples — à celles des nouveaux procédés numériques. Au fil de ces projets, Eißfeldt poursuit une quête profonde : dépasser la simple représentation pour révéler la photographie comme objet processuel, dont la matérialité, l’histoire technique et la mise en tension conceptuelle façonnent un univers visuel à la fois poétique, réflexif, marqué par la surprise et l’intensité.

Parmi ses séries phares, Generator (1987–1988) et Schneeball/Boule de neige (1988) attirent l’attention. Dans Schneeball, à partir d’une seule et unique photographie représentant une boule de neige posée dans la paume d’une main, Dörte Eißfeldt réalise de nombreux tirages, modulant lumière, échelle et tonalité, entrainant le spectateur vers un spectacle cosmique — une sphère roulant dans l’obscurité — qui glisse vers une expérience plus intime. Plus tard, la série Haut/Peau (1991) joue avec les oppositions à travers les antonymes doux/dur, clair/sombre, brillant/mat, face/dos. Le tranchant acéré d’un couteau domine le centre de chaque image, sa pointe entrant en contact direct avec la peau. Ce point de contact — potentiellement blessant — trace la ligne ténue entre la forme et la matière, entre le fait et le fantasme, l’agressivité et la tendresse. Pour Agfa Brovira (2011), les versos de tirages exposés sur du papier vintage ont été photographiés numériquement en studio à la lumière d’un soleil éclatant, comme un hommage à la photographie argentique dans l’indifférence du champ numérique. La série HimmelHimmel/CielCiel (2017) explore les illusions chromatiques et spatiales de ciels apparemment parfaits, résultat de photographie manipulés avec une intelligence artificielle.

Depuis 1971, ses travaux ont été exposés dans de nombreuses institutions et galeries nationales et internationales. Ses œuvres sont présentes dans plusieurs collections muséales. Elle a publié plus une vingtaine de livres d’artistes dont le dernier en 2024, Stehen Liegen Hängen, avec les éditions Distanz. Cet ouvrage est la première pierre de son nouveau projet The experimental archive qui a pour objet un examen de ses archives dans un processus d’analyse et de recréation de l’œuvre.

https://www.doerte-eissfeldt.de/

Finaliste 2025, Oleksandr Suprun
Ukrainien, né en 1945

Spring In Forest. Lilies of the Valley, 1975, © Oleksandr Suprun

Né en 1945 dans le village de Berezivka, près de Kharkiv en Ukraine où il vit aujourd’hui, Oleksandr Suprun est l’un des artistes de la première génération de l’École de photographie de Kharkiv. De 1962 à 1968, il étudie à l’Institut polytechnique de Kharkiv et obtient en 1972 un doctorat en ingénierie. En 1967, il rejoint un club photo régional, puis participe, aux côtés de Jury Rupin, Evgeniy Pavlov, Oleg Maliovany, Boris Mikhailov, Guennadiy Tubalev, Oleksandr Sitnichenko et Anatoliy Makienko, au groupe Vremia [Le Temps], fondé en 1971.

Si nombre de photographes de l’École de Kharkiv ont ponctuellement expérimenté la technique du collage, Oleksandr Suprun en a fait une démarche artistique à part entière. Loin des esthétiques surréalistes qui prévalaient ailleurs, il s’empare du photomontage comme d’un moyen d’expression personnel et poétique, à travers lequel il explore les paysages et les scènes rurales de son enfance. Issu d’un milieu rural, il puise dans cette expérience la matière de ses collages, qui évoquent paysages, scènes villageoises et figures locales.

Dans le contexte répressif de l’Union soviétique, photographier des personnes dans l’espace public constituait un acte susceptible d’être assimilé à de l’espionnage et conduire à l’arrestation. Suprun dissimulait alors son appareil photo dans un sac de courses, recourant à un dispositif technique lui permettant de capter ses sujets à leur insu. Si ses images peuvent, au premier regard, paraître d’une grande simplicité, elles révèlent, à y regarder de plus près, une sophistication visuelle fondée sur l’agencement subtil de fragments photographiques, véritable travail d’orfèvre de découpage et de montage.

Sa première exposition personnelle est organisée en 1973, marquant le début d’une participation à de nombreux concours et salons de la Fédération Internationale de l’Art Photographique (FIAP). En 1996, Suprun reçoit la distinction « Excellence FIAP » (EFIAP). Depuis 1981, il enseigne en tant que professeur associé à l’Institut d’art et d’industrie de Kharkiv, aujourd’hui Académie nationale du design et des arts. Ses œuvres ont intégré les collections du Centre Pompidou à Paris et du Museum of Fine Arts à Houston, et ont été présentées dans plusieurs institutions européennes, notamment au Hangar Photo Center (Belgique), au Kunstmuseum (Allemagne), au Centre Pompidou (France), ainsi qu’à Photo London en 2022 et Art Basel en 2023. Il est représenté par la galerie Alexandra de Viveiros.

https://www.alexandradeviveiros.com/

Finaliste 2025, Bohdan Holomíček
Tchèque, né en 1943

Amazing trip with Aneta F., summer 1982 © Bohdan Holomíček

Né en 1943, dans le village de Senkevichivka, en Ukraine, Bohdan Holomíček déménage avec ses parents en 1947 à Mladé Buky, alors en Tchécoslovaquie. À 14 ans, il reçoit pour Noël un appareil photo soviétique Smena et dix films 35 mm, qu’il développe le même jour. De son adolescence à sa retraite comme électricien, Bohdan Holomíček a documenté sa propre vie, ainsi qu’un pan entier de l’histoire culturelle et politique de la République tchèque. Depuis 1995, il poursuit sa carrière en photographe indépendant.

« Bohdan Holomíček est un phénomène rare de la culture tchèque. Il est le photographe des rencontres amicales, celui qui capture l’optimisme, les moments de gentillesse et les éclairs d’amour, avec la contribution magique de la lumière. » C’est ainsi que l’historienne de la photographie et conservatrice tchèque, Anna Fárová, a décrit le travail de Bohdan Holomíček. Son vaste corpus photographique tient à la fois du journal intime et de la mémoire collective, retraçant les instants extraordinaires du quotidien sous la forme d’un journal visuel ouvert au regard du spectateur.

L’un des marqueurs du langage artistique de Holomíček réside dans le dialogue qu’il établit entre image et texte. Suivant une démarche formelle, il conserve le cadre noir du tirage photographique et utilise les marges restantes du papier pour y inscrire des annotations manuscrites. Ces légendes manuscrites — allant de descriptions factuelles à des réflexions personnelles — s’entrelacent avec l’image. Il a photographié une myriade de personnes, des plus ordinaires aux icônes de la dissidence et de la culture tchèque.

Depuis la fin des années 1960, ses travaux ont fait l’objet de nombreuses expositions en République Tchèque et en Europe. À la fin des années 1980, il explore des tirages plus grands qu’ils exposent sous forme d’ensemble d’images mises côte à côte et les unes en dessous des autres, formant des narrations globales. En 2009, les Rencontres d’Arles lui consacre une exposition sur ses archives de Vaclav Havel, son voisin avec qui il a noué une amitié d’une vie. Il a publié plusieurs ouvrages avec l’éditeur tchèque Torst.

https://holomicek.cz/

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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