Lifestyle

Go, un essai sur les meufs écrit par une meuf : Alice Durel

Portrait d’Alice Durel © Renaud Monfourny
Temps de lecture estimé : 11mins

Dans Go (comprenez le féminin de gars, pas Go en anglais), petit essai écrit avec une précision remarquable et un slang parfaitement adapté, Alice Durel dissèque les icônes féminines du monde d’aujourd’hui.

En 160 pages, la jeune femme, diplômée d’histoire de l’art et d’art plastique, aborde Nicki Minaj, Nabilla, Nia Hall, Beyonce, Orlan, ou Marina Abramovic sans discrimination et avec la même verve, car chacune d’elles, avec des plastiques et personnalités différentes occupent une place de choix dans le panthéon de la pop culture actuelle. Pas facile pourtant, de prendre du recul dans une société remplies d’images, de décrypter les vrais messages derrière une superficialité ambiante où tout se traduit en clip, en gif et en très peu de mots.

C’est là que Durel est forte : en ratissant les mass media, Internet et l’art contemporain, elle décrypte avec acuité les nouveaux codes du féminisme, le sens caché d’un clip de Miley Cyrus ou l’émergence du black feminism et nous montre à quel point les frontières entre haute et basse culture, élite et vulgarité, vrai talent et visibilité opportuniste sont devenues poreuses.

Un mois après la sortie Go, on a posé quelques questions à Alice :

Quel est le rapport entre ORLAN et Lady Gaga ?

 

Born this way ! Cet album et ce clip m’ont fait vriller parce que toute son esthétique puisait dans l’œuvre d’ORLAN, au point de croire à une collab’ ou un hommage. Bosses sous la peau, accouchement de soi-même, baroque et futurisme kitsch, les emprunts étaient très nets. Au final, l’affaire n’est que pur plagiat, déguisé en « appropriation » devant la justice. Après avoir écrit le livre, j’ai travaillé presque un an pour ORLAN, notamment sur l’exposition « ORLAN EN CAPITALES » à la Maison Européenne de la Photographie. ORLAN développe un féminisme subversif, ses premières œuvres étaient incroyablement atypiques et novatrices. C’est intéressant de voir qu’une pop star s’autorise à piquer ça pour vendre un disque ! Dans un sens très ambigu, elle participe aussi à transmettre ce travail féministe, à le démocratiser.

Entre Catherine Millet (directrice de la revue Art Press et auteure de La vie Sexuelle de Catherine Millet) et Samantha Jones de Sex and the city ?

 

Le sexe, incontestablement ! Et une liberté totale d’expression à ce sujet. Ça dérange tout le monde, la société dans laquelle elles vivent, les proches, les femmes et les hommes. À posteriori, j’ai la sensation que Samantha Jones (personne fictive, 45 ans) jouit bien plus que Catherine Millet (vraie go, la trentaine dans son récit). Pour autant, seule Catherine Millet décrit une expérience sexuelle réelle et constructive. Qu’il soit fantasmé ou véridique, le sexe vécu par une fille n’est pas dicible : on le suggère, on l’enrobe, on le détourne, comme si le témoignage devait rester sexy et excitant. En attendant, on n’apprend rien ! Catherine Millet et Samantha Jones, dans leur discours, m’ont dit beaucoup sur mon corps, mon désir et mon plaisir ; et vu leur spectre de diffusion, je ne dois pas être la seule.

Entre Nabila et Zahia ?

 

Même âge. Sans rire, elles n’ont que 20 jours d’écart et une ascension médiatique fulgurante. L’une révélée par un scandale de prostitution alors qu’elle était mineure, l’autre par une punchline clamée dans une émission de télé-réalité. On bouffe ces infos, on nourrit le buzz, c’est presque normal, mais moi ça m’a vraiment ébranlée. Je n’ai qu’un an de moins qu’elles et je grandis dans le même pays, dans le même système. Ça me questionne que Zahia perce dans le luxe, que Nabila schlasse son mec, qu’elle fasse de la taule, puis une nouvelle émission avec ce même compagnon. C’est encore plus zinzin de regarder ça en temps réel et dans le détail. Leur corps, leur style, bien que différents, cette manière de vivre et de dérouler l’histoire, c’est un truc de maintenant, tout de suite ! C’était nécessaire d’analyser le phénomène lui-même, et pas la taille de leurs seins.

C’est un classique, mais puisque tu traites des deux dans ton livre : préfères-tu Rihanna ou Beyoncé ?

Franchement, kif-kif ! Perso, j’écoute les deux mais vraiment pas dans le même mood.

 

Et pourquoi ?

Rihanna a vraiment le truc badass, blasé mais quand même bien énervé. Lourd style vestimentaire, célibat / majeur en l’air, gros blunt…elle insuffle clairement un truc galvanisant. T’as envie de mettre une fourrure et de faire des gros sourires à l’envers. Beyoncé est plus calibrée musicalement, on sent qu’elle taffe vraiment dur, que c’est une machine. Au contraire, elle donne envie de réussir, de grandir.

Deux industries, deux mesures, deux boîtes à fantasmes. Oui, elles filent aussi des complexes, mais je trouve ça dommage de passer à côté. Ce qu’elles créent est rarement un état précurseur ou innovant, à mon avis, c’est toujours conséquent à l’humeur de notre société, ce qu’on demande d’elles.

Il s’est passé un certain temps entre le moment où tu as fini ton ouvrage et le moment où il a été publié, y a-t-il des femmes que tu aurais aimé ajouter à ton étude depuis ?

Mille ! Tous les jours, tout le temps, je suis entourée de femmes que j’admire. Dans mes écouteurs, dans les livres, au cinéma, dans la rue, sur mon phone, mes potes. Bref, j’ai vite compris que c’était un délire infini chez moi.

Lesquelles ?

Virginie Despentes cristallisait un vrai dilemme. Je la lisais beaucoup en écrivant « GO », et je pense qu’au final, ça se ressent largement dans le livre. J’écoutais l’EP de Lago2feu, une rappeuse parisienne qui m’inspire encore aujourd’hui. En fait, c’était la période « Lean on » de Major Lazer, et je ne sais plus pourquoi, je me refaisais tout l’album AAliyah. J’ai aussi découvert Bonnie Banane à cette époque.

Je suis fan d’actrices comme Marina Foïs, Emmanuelle Bercot, Sara Forestier, Adèle Haenel, Maïwenn, et j’aurais adoré dire quelque chose d’elles et de leur manière de fondre leurs personnalités dans une fiction. Elles révèlent une intensité actuelle, quelque chose de très fort.

J’aurais aimé parler de Cecilia Azcarate, Amalia Ulman et Chloe Wise, artistes hyper intéressantes et plus qu’influentes sur le marché de l’art contemporain ; de pionnières comme Nan Goldin et Tracey Emin car leurs œuvres sont des traces essentielles.

Récemment, j’étais en transe sur un set de Louise Chen, elle mixait des gros sons de Sefyu !

 

Ta définition du féminisme ?

Je n’ai jamais perçu le féminisme comme une recherche d’égalité homme-femme. Déjà parce que je doute que cela arrive vraiment un jour, et si c’est le cas, est-ce qu’on s’en contentera ? (Rires) Nan, sérieux, on n’a pas le même corps ni le même sexe. Je veux que nos droits soient les mêmes, mais je veux exister en tant que femme. Je ne suis pas un homme. Être féministe, c’est protéger et soutenir la liberté des femmes, quel que soit son sexe. C’est donner une visibilité : un micro, un écran, un stylo. C’est parler, écouter, diffuser. C’est considérer la place de l’homme et son évolution, partager autant que possible, trouver l’équilibre.

INFORMATIONS PRATIQUES
Go
Alice Durel
Mediapop Editions
Date de publication : octobre 2017
120 x 180 mm, 160 pages
ISBN : 978-2-918932-62-8
13€
https://mediapop-editions.fr/catalogue/go/

Leo de Boisgisson
Basée en Chine pendant 16 ans, Léo de Boisgisson est depuis longtemps un élément actif des échanges culturels entre la France, l’Europe et la Chine. Expositions, concerts, débats, elle sert de pivot aussi bien à des projets variés allant des musiques actuelles aux arts visuels. De retour à Paris, elle écrit pour différents médias tout en travaillant toujours à la diffusion et à la promotion d’artistes chinois, comme le photographe Feng Li, par exemple.

You may also like

En voir plus dans Lifestyle