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Carte blanche à Fanny Lambert : David Leleu, Dans La chair

Temps de lecture estimé : 4mins

Pour sa première carte blanche, notre invitée de la semaine, la commissaire d’exposition indépendante Fanny Lambert, revient sur l’exposition qu’elle a présenté à Paris le 14 février dernier. Un événement d’une soirée qui mettait en scène le travail de David Leleu au Beverley, dernier cinéma pornographique qui vient de fermer ses portes…

Le 14 février dernier se tenait au cinéma Le Beverley l’exposition « David Leleu – Dans La chair » que nous avions pensée ensemble, l’artiste et moi même.
Un temps court et unique pour faire l’expérience de cette série bâtie à partir d’images pornographiques puisque celle-ci ne dura qu’une soirée.
J’avais envie de prolonger encore un peu le plaisir de ce moment qui a si vite échappé…

Ci-dessous, le texte qui accompagnait l’exposition.

Extirper l’image, l’extraire de son essence, la modeler pour la rendre à elle même, modifiée, autre, transfigurée. C’est à travers ces gestes, ces interventions parfois chirurgicales dans la matière de l’image ou dans l’opération optique que David Leleu déploie sa pratique. Camera obscura de poche ou gigantesque installation réalisée récemment dans le Beffroi de Lille, la tentative de percer à chaque fois l’image ou de creuser en elle – ne sont ni pour l’une, ni pour l’autre, de simples expérimentations. Elle puise leur dessein depuis une nécessité qui dépasse la seule plasticité des effets et s’ébattent plutôt en de multiples combinaisons. Celles permises par les images entre elles. Y compris et le plus souvent dans ce qu’elles ont d’invisible.
De cette « matière » prélevée dans des magazines ou des films pour adultes, David Leleu en livre une « texture unique », ni tout à fait peau, ni tout à fait image. L’évocation sexuelle d’ailleurs disparaît pour se dissoudre dans une abstraction relevant et de l’histoire de l’art, et d’un relief homogène et varié. Il est là affaire de modelage, de forer pour faire apparaître la forme, de vider les magazines de leur substance première pour dévoiler, enfin, ce qui se dissimule sous le derme. Ces formes abstraites et informes créées par les excavations évoquent aussi bien des accents cubistes que l’œuvre dépliée de Hans Bellmer. On pense aux collages – de Dada à Matisse et à leurs formes oblongues. L’envie est d’utiliser l’objet tel quel et de le rendre à une nouvelle lecture.
A l’aide d’une meuleuse, l’artiste découpe dans le fantasme et taille au cœur du mystère. La fabrication d’un corps ou d’une image ne relève-t-elle pas d’un même processus consistant à rassembler des fragments ?
A travers le papier glacé, les corps s’entremêlent, se frottent les uns aux autres. Notamment ceux qui ne devaient pas être réunis à l’origine. Ces formes emmêlées évoquent aussi un parasite qui viendrait peupler des champs de matière.

Diverses projections se croisent ici. L’installation Expanded projector, réalisée à partir d’une bobine de film vintage trônera sur la scène et viendra se lover devant l’écran. En un sens, tous ces objets, supports de projection multiples, récupèrent ici une autonomie qui leur est propre. Déviés de leur fonction première, ils continuent de conserver la clandestinité nécessaire à toute rêverie voluptueuse. L’image n’est-elle pas ce réceptacle formidable et préalable à l’hallucination ?

Le 20 février prochain, le cinéma Le Beverley fermera définitivement ses portes au bout de trente cinq ans de cinéma permanent. Il y a deux ans, David Leleu rencontre Maurice Laroche, gérant des lieux. Un lien de sympathie mutuelle s’établit entre eux et donne l’occasion à l’artiste de disposer d’une quantité importante de magazines et de morceaux de films provenant des années 1970à 1990. L’installation Expanded projector est l’une des formes que David Leleu a choisi d’imaginer à la frontière entre ces préoccupations pour l’image projetée (Le Stratagème de l’invisible, 2014) et ces images sensuelles qu’il aime faire se retourner sur elles-mêmes.
Une soirée seulement pour faire l’expérience de ces images en ces lieux. L’une des dernières avant le tombé de rideau et la disparition d’une vision qui, pour notre époque, semble avoir perdue de son essence mais certainement pas de sa matière, entre peau et incidence.

https://davidleleu.com/

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