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L’exposition memymom à la Maison photo de Lille
Rencontre avec Lisa de Boeck

Temps de lecture estimé : 9mins

Jusqu’au 7 avril, la Maison de la Photographie de Lille présente l’exposition memymom, un concept artistique photographique formé par un duo familial composé de Lisa de Boeck & Marilène Coolens. Mère et fille ont créé une importante archive photographique. Nous avons rencontré la fille, Lisa de Boeck pour nous parler de ce projet hors norme qui s’étale sur plus de 3 décennies.

9 Lives : Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet et son évolution qui dure depuis presque 30 ans ?

Quand j’étais enfant, ma mère, Marilène était professeure de sport et travaillait donc beaucoup avec les jeunes. Elle leur apprenait à s’exprimer et elle faisait la même chose avec nous (mes deux frères Thomas, Michaël et moi). Elle nous stimulait dans notre expression, ce qui nous amusait beaucoup. Mais en général, mes parents Marilène et Jo de Boeck nous ont introduit dans leur monde. Leurs amis artistes comme par exemple Arno et leurs centres d’intérêts nous ont construit : les films, la photographie, la musique et le voyage… Nous sommes par exemple allés à New York et à Arles. Cette expérience arlésienne m’a beaucoup marquée, depuis lorsque je retourne en France, j’essaye d’y retourner !
 Ce sont des choses qui m’ont touchées étant enfant.
A six ans, ma mère m’a ramené de New York le livre de Cindy Sherman, j’ai adoré regarder les images. Pour moi elles exprimaient beaucoup plus que les mots. Le monde de Twin Peaks de David Lynch, c’est aussi un monde d’images qui a marqué mon enfance.
Et voilà, comme beaucoup de parents, ma mère prenait ses enfants en photo, mes frères aussi au début, mais très vite c’est devenu notre espace rien qu’à nous, si bien que nous nous sommes – ma mère et moi – constituées une archive argentique. C’était un jeu très spontané entre nous.
Quand j’avais 16 ans, mon père est mort et ça a été une énorme rupture pour nous tous. 
Nous avons stoppé notre jeu photographique et ne l’avons repris que deux ans plus tard avec l’éclosion du numérique.
Cette innovation rendait notre jeu d’autant plus intéressant. Quand nous avons commencé, il y avait énormément de limitations techniques, une pellicule avait un nombre de prises de vue limité ! L’arrivée du numérique a tout bousculé, il n’y avait plus de barrières et c’est à partir de ce moment là que je me suis mise à photographier moi aussi.
Dans notre chapitre « The Digital Decade » on ne montre que notre travail à partir de 2010, mais avant cela il y a eu six ans d’expérimentation. A l’époque on ne se rendait pas compte que ce serait possible de réaliser une exposition. Je publiais seulement quelques photos sur un blog, mais quand j’y repense nos proches étaient déjà enthousiastes !
Ensuite nous avons acheté un ordinateur et commencé à faire des retouches sur Photoshop. Ca nous a beaucoup amusé. Notre côté autodidacte est très important ici, on était totalement libres.

9 Lives : Votre mère a commencé à vous photographier lorsque vous aviez 5 ans, quel regard portiez-vous alors sur ce jeu qui laissera place à une série artistique intitulée « The Umbilical Vein » ?

Cette archive argentique n’était au départ absolument destinée à être montré. C’était une échappatoire, un espace rien qu’à nous. On ressentait vraiment une connexion, ces photos c’était une manière de communiquer notre regard sur le monde, notre ressenti. 
Par exemple, après avoir vu le film « Cat Woman » de Tim Burton je me suis fabriquée un déguisement, et j’ai voulu, le temps d’un instant devenir cette actrice qui m’avait plue. 
Dans notre choix de finalement montrer nos photos au grand public, c’est notre père, alors directeur créatif d’une agence de publicité qui a eu un effet déclencheur. J’avais 12 ans et alors qu’il regardait les photos que nous avions exposées partout dans la maison, il m’a dit : « il faudrait en faire un livre ! »
Plus tard en 2011, une fois devenue adulte, j’ai décidé qu’il fallait que j’exauce ce souhait. C’était très important pour moi. Marilène n’était pas très emballée, pour elle c’était seulement une forme d’éducation artistique et ça n’avait absolument pas vocation à sortir du domaine privé. Malgré tout, je savais que mon père avait raison et j’avais décidé de publier ces images c’était d’une certaine manière une façon de revivre ces beaux moments.

C’est à ce moment là que naît « memymom ». Et aujourd’hui, quand je regarde ses images, je vois une vérité sans filtre. Tout au début, je ressentais une forte émotion forte, on ne se sent pas forcément grandir. Maintenant j’ai acquis une distance avec ses images, et notre projet ce n’est pas seulement un passé, mais c’est aussi un présent.

9 Lives : Vous avez commencé à votre tour à photographier ? Le modèle que vous étiez s’est glissé derrière l’objectif, pourquoi avez-vous eu envie de débuter la photographie ?

On devient ce qu’on voit, ça s’apprend en regardant aussi. Avec tout ce que mes parents avaient amené, l’envie est vraiment venue tout naturellement.

9 Lives : Comment se déroulent les prises de vue ? Le choix des séries ? Qui décide d’être le modèle ou la photographe ? Comment s’opère cette création à quatre mains ?

Le but était vraiment de nous introduire comme duo artiste mère-fille en captant à la fois l’essence émotionnelle et l’évolution technique.
Depuis 2010, on a fait tellement d’autres séries et projets avec des performeurs, danseurs, acteurs… et notre travail il se nourrit de tout cela.
Notre mode de fonctionnement est très intuitif, il n’est pas cloisonné. C’est cette liberté qui nous a permis d’avoir des séries si vaste, une infirmière, une petite princesse, les jeunes hommes d’en attendant Godot, des femmes qui se sont échappées de leurs camisoles ou encore des parodies de nos propres series avec Barbie.

9 Lives : Qu’allons-nous découvrir au sein de cette exposition ?Comment la scénographie a t-elle été pensée… ?

L’exposition a été pensée en, trois chapitres. The « Umbilical Vein » (de 1990 à 2003), « The Digital Decade » (de 2010 à 2015) et enfin « Somewhere Under The Rainbow » (commencé en 2016). Cette exposition permet de clore une boucle, vous pourrez découvrir « Closing in on David » où je me trouve devant la maison de David Lynch, j’ai aussi pu donner le livre The « Umbilical Vein» à Cindy Sherman ! 
Il y a vraiment un fil conducteur. J’espère que les spectateurs pourront voir que nous sommes devenues notre propre référence. Beaucoup d’influences nous ont nourri mais nous sommes parvenues à créer notre propre légende.

La scénographie, a d’abord été pensée en septembre 2018 en collaboration avec Xavier Canonne, directeur du musée de la photographie de Charleroi. Deux ans auparavant, Olivier Spillebout, directeur de la maison de la photographie de Lille nous avait déjà contacté pour réaliser une exposition. C’est alors tout naturellement que cette exposition a vu le jour, et elle visible jusqu’au 7 avril. 
Pour l’occasion, avons nous-mêmes repensé la scénographie là aussi de manière très intuitive.

9 Lives : Vos séries se réalisent au long cours, l’aspect temporel est important dans votre processus de création ?

Nos séries sont en réalité plutôt des chapitres. La liberté de création est beaucoup plus grande pour nous. C’est au moment de publier nos livres que nous nous sommes rendu compte qu’il fallait structurer par chapitres. 
Mais évidemment l’aspect temporel est vite devenu très important : les idées ont besoin de temps pour murir. On note tout sur des carnets, et on finit toujours par les réaliser !

9 Lives : Sur quelles séries travaillez-vous actuellement ?

Pour l’instant nous travaillons toujours sur notre troisième chapitre: « Somewhere Under The Rainbow », dont nous montrons un aperçu dans l’exposition actuelle à la Maison de la Photographie de Lille. 
Ce chapitre, commencé en 2016, nous allons le finaliser en 2021
C’est une période qui marque un début de changement, à la fois global mais qui a aussi infiltré nos vies personnelles. Ça nous a affecté en tant qu’artistes. En effet, surtout en Belgique la culture a perdu de son prestige. La vie culturelle est moins riche et finalement la beauté disparaît.
C’est arrivé tellement vite et d’une façon si brutale, qu’en tant qu’artiste nous nous sommes posées la question : Que faire ?
C’est pour ça qu’il est important de raconter et de montrer – à travers nous – les choses qui se passent dans la société. Nos images ont toujours plusieurs niveaux de lectures, c’est d’un côté une histoire personnelle, mais aussi une critique de notre société.
Parfois, ce n’est qu’une fois l’image finie qu’on réalise sa dimension critique. Et c’est l’intuition qui nous a amené là !
C’est un chapitre qui amène aussi plus du bagage de Marilène, notamment des années soixante. On aime bien faire un étrange mélange du passé et du présent.

9 Lives : Quels sont vos projets à venir ?

Pour l’instant on fait voyager cette exposition memymom, elle sera de retour en Belgique en septembre 2019, cette fois à Hasselt. A chaque fois il y a le défi de réadapter la scénographie et l’histoire à un nouvel espace,
Après ça, j’aimerai bien faire un documentaire sur « memymom ». On a encore tellement de choses à raconter, à montrer, et à explorer… 
C’est un travail qui va non seulement faire émerger des émotions, mais aussi des nouvelles images, des nouvelles inspirations.
 Et on n’a jamais vraiment montré les vidéos que nous prenions mes frères et moi, enfants.
Une dernière chose qui m’occupe déjà depuis plusieurs années c’est d’allonger l’histoire avec une archive vernaculaire des photos de jeunesse de Marilène. Je remarque à quel point cela se rapproche tout naturellement de ce que nous faisons maintenant.

https://www.memymom.com
https://maisonphoto.com

INFORMATIONS PRATIQUES

mar05mar(mar 5)11 h 00 mindim07avr(avr 7)18 h 00 minmemymomLisa de Boeck & Marilène CoolensMaison de la Photographie Lille, 28 rue Pierre Legrand - 59000 Lille

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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