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Rencontre avec Olivier Spillebout : L’Institut de Photographie « La place de l’artiste a été oubliée alors qu’il est au coeur du sujet » !

Olivier Spillebout © Betty Kennedy
Temps de lecture estimé : 10mins

Depuis l’annonce il y a deux ans de l’ouverture d’un Institut de Photographie dans les Hauts-de-France par Xavier Bertrand et les Rencontres d’Arles, les rumeurs vont bon train. L’association Arles / Hauts-de-France provoque des interrogations. Au niveau régional, c’est également une incompréhension; cet été il a été décidé que l’Institut soit installé en plein cœur de Lille. Décision qui ne sied pas à Olivier Spillebout, directeur de la Maison de la Photographie de Lille, qui ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.

9 Lives : En octobre dernier vous avez fait une demande de suspension du projet de l’Institut de Photographie pour son manque de transparence et de clarté. En effet, les acteurs culturels de la région semblent être écartés du projet. Quels ont été les résultats suite à cette demande ?

Olivier Spillebout : Cette démarche via un premier communiqué de presse le 17 octobre 2018 avait pour but d’envoyer un signal fort à l’exécutif régional, après presque 3 ans de tentatives de discussion.
En effet, depuis l’élection de Xavier Bertrand fin 2015, la Maison de la Photographie a été force de propositions concernant le futur de la Photographie sur notre territoire. Pendant ces 3 ans, la Région -en tous cas la personne à la Région qui décide seule en matière de Culture et donc de Photographie – n’a pas souhaité nous associer ni nous soutenir. Si ce n’est en nous demandant de participer à des « pseudo-conférences » de presse à Arles où tous les projets étaient déjà décidés, mais où il fallait donner l’illusion que c’était fait en “concertation” avec les structures régionales…
Ce communiqué de presse avait donc juste vocation à dire à la région « Stop : votre projet n’est pas bon et nous ne nous prêterons plus au jeu du “politiquement correct” en laissant croire que nous cautionnons votre démarche ».
Xavier Bertrand a juste botté en touche dans la presse régionale (la Voix du Nord du 25/10) en dénonçant le “Marigot Politicard Lillois”, marigot auquel il est complètement associé selon mon humble avis.
Cette posture facile et décevante n’est certes pas à la hauteur des enjeux culturels de notre territoire.

« Je n’aime pas le Arles de Sam Stourdzé qui lance des OPA hostiles dans les autres territoires en méprisant les acteurs existants. Si il a des difficultés avec la fondation LUMA, il lui appartient de trouver des solutions, mais il doit arrêter de vouloir être présent partout, plaçant ses équipes du musée de l’Elysée, aussi compétentes soient-elles, et surtout là où des élus locaux ont promis de débloquer de gros budgets. »

9 Lives : Un mois après, vous lancez des propositions à destination de la région des Hauts-de-France, qu’attendez-vous précisément de la part de Xavier Bertrand ?

O. S. :  Je reste dans le prolongement de notre démarche depuis 3 ans, la Maison Photo en tant qu’acteur culturel depuis 20 ans a toute légitimité à contribuer au débat concernant les projets photo en Hauts de France. Au-delà du Communiqué de presse d’octobre,  j’ai publié une Tribune intitulée “Pour une culture durable de la Photographie en Hauts-de-France”.
Nous souhaitions développer l’argumentaire et expliquer pourquoi,  en l’état, le projet proposé par Xavier Bertrand n’est pas bon.
Nous espérons de lui, justement, qu’il sorte de ce “marigot politicard” qu’il dénigre, qu’il agisse avec justesse et bienveillance, dans le respect des structures et des acteurs qui oeuvrent depuis longtemps à Lille et dans le Nord de la France.
Enfin, simplement qu’il étudie nos propositions constructives et complémentaires de son projet, formulées dès son élection, qui vont toutes dans le bon sens au regard de l’envergure de ses ambitions : Diagnostic, Echange, Concertation.

9 Lives : Dès l’annonce de la création de cet Institut par la région et les Rencontres d’Arles, un grand nombre d’acteurs du secteur de la photographie soupçonne une possible délocalisation de la manifestation dans le Nord. Est-ce que vous craignez la même chose et pourquoi ?

O. S. : J’entends aussi ces rumeurs, je ne sais pas si elle sont réellement fondées, cela me paraît juste ubuesque et ce serait très grave si elles étaient avérées. Comme je l’ai déjà dit, Arles est sans aucun doute le festival photo de référence dans le monde, il a même été un modèle pour les Transphotographiques, inspirant leur création. J’aime le Arles de Lucien Clergue, de Gilles Mora, celui de François Hebel qui a su le transformer et le faire grandir de façon remarquable. Je n’aime pas le Arles de Sam Stourdzé qui lance des OPA hostiles dans les autres territoires en méprisant les acteurs existants.
Arles doit bien sûr rester à Arles. Si le Directeur des RIP a des difficultés quant aux lieux d’expositions et avec la fondation LUMA, il lui appartient de trouver des solutions, mais je pense qu’il doit arrêter de vouloir être présent partout, plaçant ses équipes du musée de l’Elysée, aussi compétentes soient-elles, et surtout là où des élus locaux ont promis de débloquer de gros budgets.

« Le risque est bien réel de perdre sa subvention quand on ose revendiquer de participer aux débats et éventuellement critiquer les choix culturels de nos élus« .

Institut de Photographie, Lille

9 Lives : L’un des points d’incompréhension est la localisation de l’Institut qui serait basé à Lille. En tant que fondateur de la Maison de la Photographie à Lille, que craignez-vous ?

O. S. : Je n’ai pas de craintes, juste des interrogations fortes sur la pertinence d’une telle décision. Aujourd’hui pour tous il est clair qu’en partie, les motivations qui ont prévalu sont aussi liées au Maire de Lille, qui souhaite depuis longtemps régler ses comptes politiques avec la Maison de la Photographie.
La même année où Xavier Bertrand, main dans la main avec Martine Aubry, annonce à Arles la localisation du nouvel Institut dans le Vieux-Lille, cette dernière supprime la subvention annuelle historique de la Maison Photographie…
S’il n’y avait pas 20 ans d’investissements publics dans un quartier prioritaire, ainsi que des emplois en jeu, pour certains avec plus de 15 ans d’ancienneté cela en serait presque risible.
On ne peut aussi que regretter qu’elle ait fait pencher la balance vers Lille, au détriment d’autres communes des Hauts-de-France qui s’étaient portées candidates et qui auraient bien plus besoin d’une locomotive culturelle que Lille, déjà très bien dotée en la matière.
A titre d’anecdote, il nous est aussi revenu aux oreilles que Marin Karmitz et Sam Stourdzé trouvaient les autres sites candidats à l’acceuil de l’Institut (Loos, Roubaix, Denain) trop éloignés de… la Gare de Lille pour les soirs de vernissages où il faudrait venir faire un discours et repartir par le dernier TGV… J’ose espérer que ces rumeurs sont fausses !

9 Lives : Quelle est la position des principaux acteurs de la photographie dans la région ?

O. S. : Il faut le leur demander, malheureusement force est de constater qu’il n’y a pas de position commune forte, les éternelles guerres de chapelles prévalent et surtout les structures subventionnées ne peuvent pas s’exprimer librement… Le risque est bien réel de perdre sa subvention quand on ose revendiquer de participer aux débats, et éventuellement de critiquer les choix culturels de nos élus. La Maison de la Photographie en est le meilleur exemple.

(ndlr : Nous avons contacté Fred Boucher de Diaphane à Beauvais qui  nous a simplement donné la date de la prochaine réunion du comité fixée au 19 décembre et nous n’avons reçu aucune réponse de la part de CRP de Douchy-les-Mines)

9 Lives : Vous souhaitez les réunir pour former un comité d’experts. Quel serait le rôle de ce comité ?

O. S. : Notre proposition va bien au-delà de ce comité d’experts des 3 structures des Hauts-de-France, qui n’existe comme je l’ai expliqué que pour servir de caution au projet politique, et n’a aucune fonction de consultation ou de conseil réel.
Notre proposition est d’y associer, s’agissant d’un projet national sur la conservation, la diffusion et l’édition, les conservateurs nationaux, les experts du Ministère et de la DRAC, la Délégation à la Photographie, le CNAP, le FRAC… et bien sûr les structures régionales que nous sommes, en leur assurant une vraie transparence et une collégialité dans les prises de décisions.

La place de l’artiste a été totalement oubliée dans la gouvernance alors qu’il est au coeur du sujet. Un collège de photographes Nationaux et Régionaux doit aussi être créé car ils sont bien sûr concernés au premier plan, s’agissant d’un futur Institut qui ambitionne de révolutionner le paysage photographique Français .

Je salue d’ailleurs l’initiative courageuse d’il y a quelques jours du collectif des “100 Photographes” appelant à l’ajout d’une sixième mission à l’institut : le soutien à la création artistique régionale.

« La Maison Photo gêne, car elle illustre, sur le même territoire et dans le même médium culturel, qu’on peut faire de belles choses en dépensant très peu d’argent public, alors même que la région s’apprête à en dépenser beaucoup pour la mise en place de cet institut ! ».

La Maison de la Photographie de Lille

 

9 Lives : En résumé, pour vous quel est le but réel de cet Institut ? Et quelles conséquences pourrait il avoir sur la photographie dans la région Hauts-de-France ?

O. S. : Cet Institut n’a pas pour but de servir la Photographie mais c’est juste un projet politique !
Pour être très honnête, et puisqu’il est définitivement difficile de parler de Photographie à Lille sans parler de politique, j’ai cru aux positions et aux discours de Xavier Bertrand sur la culture, juste avant et après son élection. Et d’ailleurs tout le monde de la culture régionale y a cru. Pourtant, ces acteurs sont souvent d’une sensibilité plutôt de gauche mais force était de constater que tout le monde a été séduit par un discours prometteur de transparence, de simplification administrative, et d’équité territoriale.
Il est clair qu’à ce moment-là, nous avions tous oublié que le Président de Région est avant tout un politique dont les actes sont en contradiction avec les discours.
Aujourd’hui tout le monde déchante, même si la crainte continue de limiter l’expression publique des acteurs.
Le projet d’Institut se résume pour moi à : “comment marquer le paysage culturel national par un projet important et très visible » pour un homme politique qui ambitionne un destin national.
En créant par exemple le plus grand “Institut Photo du Monde” et en pouvant en revendiquer la paternité. En ce sens, soutenir une Maison de la Photographie qu’il n’a pas créée, n’a aucun interêt politique, d’autant que cette Maison Photo gêne, car elle illustre, sur le même territoire et dans le même médium culturel, qu’on peut faire de belles choses en dépensant très peu d’argent public, alors même qu’il s’apprête à en dépenser beaucoup.

9 Lives : Quelle serait la vraie solution pour répondre aux différentes problématiques énoncées par l’Institut (Contribuer au rayonnement de la photographie, Préserver, transmettre, valoriser, Recherches, Sensibiliser et Valoriser l’édition…)

O. S. : Je n’ai pas la prétention de répondre seul à ces problématiques. Le contenu de ma tribune est le fruit d’échanges, de discussions, avec des acteurs nationaux et régionaux de la conservation, des acteurs de la photographie : galeristes ou directeurs de structures, avec des journalistes, des photographes…

Et la conclusion, c’est que débat il doit y avoir, en y associant réellement l’ensemble de la filière. Et que ces grandes institutions que sont les Rencontres d’Arles et ce nouvel Institut doivent être exemplaires, sur la forme comme sur le fond.
Pour moi, un projet comme l’Institut, porté par une Région, devrait être mis en cohérence à deux niveaux fondamentaux : au niveau national, avec les grandes politiques de l’Etat et la Délégation à la Photographie, et au niveau régional par un maillage territorial fort, avec les photographes et les structures existantes, dont la Maison de la Photographie fait partie.

Où est la cohérence quand on précipite la disparition d’une structure comme la Maison Photo dans laquelle les collectivités publiques ont investi pendant 20 ans ? A l’heure où l’on devrait penser Culture durable et Photographie durable….

A LIRE : 
https://www.9lives-magazine.com/46152/2018/10/17/maison-de-photographie-demande-a-region-de-suspendre-projet-dinstitut/

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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