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Rencontre avec Muriel Enjalran, directrice du CRP/ Centre régional de la photographie Hauts de France

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Muriel Enjalran, invite la commissaire Béatrice Andrieux à relire la collection du CRP/ de plus de 9000 œuvres. « Inédits » renvoie à la vocation et l’histoire de ce lieu, fondé en 1982 sur l’impulsion de Pierre Devin et du collectif de photographes issu du Photo Club du comité d’entreprise Usinor Denain. Un territoire omniprésent dans la démarche des photographes sélectionnés.
 Le CRP/ c’est aussi une artothèque, un centre de documentation et un laboratoire de photo argentique ouvert à tous.
 Muriel Enjalran est revenue sur le défi que représentait ce lieu, les ambitions qui la portent, sa vision du medium et la place accordée à l’émergence dans sa programmation.

Muriel Enjalran critique d’art et commissaire d’exposition indépendante, a été secrétaire générale de d.c.a, le réseau national des centres d’art, est à l’origine de plusieurs expositions, dont Hamish Fulton au CRAC Occitanie (2014). Elle est la lauréate 2012 du programme de recherche de l’Independant Curators International/ICI en partenariat avec l’Institut Français (Paris) et les Services culturels de l’ambassade de France à New York.

Quelle vision aviez-vous du CRP/ et de la région Hauts de France, partie prenante de l’histoire du centre, avant votre nomination ?

Je suis originaire de Savoie, contrée assez lointaine du Nord mais ayant l’occasion de voyager régulièrement à Lille et dans sa région, j’ai toujours été impressionnée par ce volontarisme en matière culturelle, aussi bien dans le champ du spectacle vivant que des arts plastiques avec des musées de premier plan et cette politique très forte dans les années 1990 de construire des équipements culturels maillant l’ensemble du territoire. J’avais aussi une attirance pour la région par sa situation frontalière avec cette proximité de la Belgique, de la Grande Bretagne et de l’Allemagne qui ouvrait un champ de possibles en termes de synergies de projets. Quant au CRP/, c’était une structure que je connaissais mal ne venant pas moi-même du monde de la photographie mais plutôt de l’art contemporain, très identifiée dans le domaine de la photographie dans les années 1980-90. Je l’avais entre aperçu dans ses dernières expositions au travers du réseau des centres d’art d.c.a pour lequel j’ai travaillé pendant plusieurs années, autour de la question d’une possible adhésion, jusqu’au moment où la précédente directrice Pia Viewing quitte son poste et qu’un concours soit ouvert.
Je savais que le lieu était intéressant à plus d’un titre :
Le contexte : dans la mesure où ce territoire a subi de grands bouleversements, économiques et sociaux, une matière très riche qui avait nourri le centre en matière de programmation.
La collection : l’opportunité de développer un projet de création articulé à une collection, était tout à fait originale.
La question du medium : si je ne venais pas à proprement parler du champ de la photographie, j’avais néanmoins travaillé à ce questionnement sur les images et leur usage dans les pratiques contemporaines et accompagné des femmes vidéastes et cinéastes comme Justine Triet.
Ce lieu à beaucoup d’endroits constituait donc un challenge très intéressant.

Comment avez-vous mis en œuvre ce défi en termes de programmation, la place accordée à l’émergence et les synergies possibles dans ce territoire et au-delà?

Depuis 4 ans avec l’équipe du CRP/, je m’attache à mettre en place un certain nombre d’actions notamment autour de la valorisation de la collection. La question de l’émergence est essentielle pour un centre d’art qui accompagne les projets de l’artiste comme le maillon entre l’école d’art, le Frac et le musée est fondamental à mes yeux ayant pratiqué les centres d’arts comme secrétaire générale du réseau d.c.a et observé différentes manières d’interroger cette notion.
Dans ma programmation je suis tout à fait attentive à donner cette opportunité à de tous jeunes artistes au sortir des écoles d’art, de bénéficier d’une première exposition, comme Evangelia Kranioti aujourd’hui dans le champ du film, Justine Pluvinage repérée au Salon de Montrouge, lauréate du programme « Resilient Images », résidence Chicago que j’ai mis en place et Maxime Brygo formé à la Cambre dont c’était également la première exposition en centre d’art. Dans ma programmation je cherche à alterner des artistes de grande renommée comme Boris Mikhaïlov, d’autres plus confirmés et de plus jeunes. Cette alternance est intéressante et bénéfique dans la mesure où des artistes plus confirmés contribuent au rayonnement du lieu qui profite aux artistes émergents et restent curieux face aux propositions des plus jeunes.

L’invitation à Béatrice Andrieux de revisiter la collection : genèse, parti pris et redécouvertes

Même si on pourrait se demander pourquoi déléguer à un commissaire en tant que directeur artistique, je trouve que cette collection dans sa richesse et sa pluralité appelle des invitations à des personnalités extérieures qu’elles soient commissaires ou artistes, pour en livrer des relectures. J’étais très curieuse de découvrir le regard de Béatrice Andrieux et comment, à l’issue d’un important travail d’un an à partir de ce fonds, elle allait articuler son approche. Cette notion d’inédits qui a été le fil rouge de son exposition rejoignait précisément ce que j’étais en train d’essayer de donner à voir à travers la programmation : comment un centre d’art reste un lieu de production avant même d’être un lieu de diffusion et d’accompagnent de la recherche d’un artiste. Comment tous ces artistes qu’elle présente aujourd’hui dans « Inédit(s) » ont été accompagnés dans une recherche selon des modalités variées et encouragés à produire de nouvelles œuvres qui n’ont pour diverses raisons, pas été présentées et diffusées. Elle s’inscrivait pleinement dans la lignée de ce que je souhaite défendre en tant que centre d’art.

Résidence de création croisée entre Chicago et la région Hauts-de-France, grâce à la bourse de la Mac Arthur Foundation avec le Hyde Park Center, enjeux et choix des artistes

J’ai mis en place ce projet de résidence avec Chicago « Résilient Images » dès ma nomination. En tant que commissaire et critique d’art indépendante j’avais commencé un travail de recherche à Chicago, plus généralement sur la scène artistique américaine et les pratiques artistiques socialement engagées, dont Chicago est le berceau en lien avec les écoles sociologiques de son université. Lauréate ICI/Independant Curators International, je bénéficiais d’une résidence de commissaire à Chicago à l’Hyde Park Center, lieu de résidence international, community center, et école d’art dans le sud de la ville. Au moment de ma nomination, ils m’ont proposé de monter un programme d’échanges autour de nos résidences ayant saisi les convergences entre ces histoires post industrielles même si les échelles ne sont pas du tout les mêmes entre Chicago et Douchy les Mines ou le Nord Pas de Calais. Les américains étaient très motivés de pouvoir échanger sur ce contexte, cette culture ouvrière très forte aussi à Chicago, (n’oublions pas que nous devons le 1er mai aux ouvriers des Abattoirs) et cet enjeu de la reconstruction de ces territoires à partir de la culture parmi d’autres facteurs. Comment les artistes aussi aident à comprendre les forces tectoniques de ces territoires. Ce projet qui consistait en un échange croisé a été rendu possible par une fondation américaine, la Mac Arthur Fondation, le CRP/ n’ayant pas de structure de résidence. La construction de ce projet d’émergence sur 2 ans s’inscrivait dans une démarche prospective par le biais de visites d’ ateliers d’artistes basés à Lille et dans la région pour essayer de comprendre cette scène artistique dite régionale, si l’on peut s’exprimer ainsi. A partir de ces visites j’ai envoyé des dossiers d’artistes à mes homologues américains qui ont fait de même, puis nous avons sélectionné les 2 lauréats : Justine Pluvinage originaire de Lille et David Schalliol, artiste et sociologue professeur à Minneapolis qui est venu passer 4 mois, lors de 2 séjours, été et hiver pour travailler cette notion de résilience en lien en écho à ses problématiques de recherche. Comment les habitants se réapproprient leur territoire par des stratégies d’occupation de l’espace public, selon son travail photographique. Justine Pluvinage a réalisé un travail de film sur 9 femmes fortes de Chicago, appelées les Amazones affirmant dans l’espace public une singularité ou marginalité pleinement revendiquée.
Ce projet ambitieux ayant donné lieu à 2 expositions itinérantes, nous cherchons aujourd’hui à le rééditer avec la problématique du financement reposant jusqu’ici beaucoup sur les financements privés américains. J’y travaille activement considérant dommage de se limiter à une seule édition ayant encore beaucoup à explorer entre nos territoires. Cela a été un vrai succès avec une réelle adhésion du public. Pour Justine Pluvinage cela a représenté une réelle opportunité, son film ayant été repéré. C’est le meilleur service que l’on puisse rendre à un jeune artiste !

Quels jalons ont-ils été décisifs dans votre parcours et choix de vous dédier à l’art ?

Historienne de formation je ne me dirigeais pas a priori vers une carrière culturelle et artistique. C’est à la faveur d’un stage et d’une rencontre au musée de Grenoble avec Serge Lemoine, lui-même historien, que j’ai eu la chance d’assister sur des projets d’expositions temporaires, que ma vocation est née. Je suis tombée amoureuse de la collection du musée de Grenoble d’une richesse extraordinaire. Serge Lemoine était un visionnaire ayant accompagné des artistes des avants-gardes, minimalistes et Arte povera avant même qu’en France on s’y intéresse. C’est la rencontre déterminante. Je l’ai suivi à Paris pour un 3ème cycle à Paris IV.
Deuxième rencontre fondamentale, Eric Corne, artiste à l’origine du projet Frac Ile de France-Le Plateau. Son exemple continue à m’inspirer sur la notion d’engagement d’un centre d’art, un espace en lien avec l’espace public et à m’armer pour porter ce projet sur le contexte différent de Douchy les Mines.
Les rencontres fondamentales aussi s’inscrivent aux Etats Unis à New York avec la Bourse de l’ICI et leur programme curatorial qui m’a permis d’affirmer mes champs de recherches, et plus tard à Chicago.

A quand remonterait votre premier choc esthétique ?

Ce sont les grandes expositions parisiennes des années 1980 vues avec mon père, comme comme celle de Paul Gauguin curatée par Françoise Cachin au Grand Palais en 1989.

INFOS PRATIQUES

sam08jui(jui 8)13 h 00 mindim18aou(aou 18)17 h 00 minInédit(s) dans la collection du CRP/CRP/ Centre régional de la photographie Hauts-de-France, Place des Nations 59282 Douchy-les-Mines

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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