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Skin Deep, Attention aux âmes sensibles !

Temps de lecture estimé : 4mins

Esther Woerdehoff et son équipe de choc, vous proposent leur toute dernière exposition de la saison. Jusqu’au 17 juillet, avant la fermeture estivale de la galerie, découvrez Skin Deep, une exposition collective… déconseillée aux enfants et aux âmes sensibles.

«Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau En tant qu’il se connaît.» Paul Valéry, L’Idée fixe, 1931

Paul Valéry, moustachu disciple du moustachu Mallarmé, est un poète open source revendiqué : “Mes vers ont le sens qu’on leur prête”. Ils sont le support à la fois d’une formidable maîtrise formelle et d’une virtualité sémantique illimitée. Un scripteur originel, et des milliards de sens possibles, tous aussi légitimes les uns que les autres.
Tout comme la peau, ils sont le véhicule d’un sens à la fois inaltérable et en devenir perpétuel. Cette peau qui a la poésie de nous contenir n’a rien d’une page blanche.

Grain, couleur, épaisseur, réactivité, pilosité, cicatrices, marques, elle reflète le corps et exprime l’emprise de la biologie et du temps. Tatouages, piercings, scarifications, elle exprime l’énergie mobilisée pour répondre à cette emprise. L’individu n’existe que parce qu’il est en relation. La peau est l’enveloppe qui tout à la fois le contient et lui permet d’entrer en contact avec l’extérieur. Elle est le media du corps en interaction avec l’environnement. La peau, organe de la rencontre de soi et du monde, montre où chacun place le curseur ; vos limites sont-elles une basse clôture de bois blanc ? Une pergola ? Un mur de pierres de trois mètres d’épaisseur ? Un no man’s land à miradors et barbelés ? Un trait à la craie sur le sol ? Le cap Horn ?

Tatoués ou pas, les sujets d’Andreas Fux, Pedro Slim et Karlheinz Weinberger ont laissé voir aux photographes leur curseur, en équilibre entre la vulnérabilité et la force, l’inconscient et le revendiqué, la maîtrise et le lâcher prise. Les contours de leur être.

Scoutés dans la rue, les jeunes mexicains qui posent pour Pedro Slim dans les années 2000 sont de beaux indifférents aux corps doux et lisses sur lequel tout glisse, à commencer par la lumière et le regard du photographe. Le grain de leur peau, intacte, pleinement biologique, et celui du tirage argentique, les placent précautionneusement hors du temps, comme de silencieuses idoles, virtuellement offertes à toutes les prières.

Les clubbeurs berlinois d’Andreas Fux ont fait, eux, de leur corps un temple. Un temple où on s’amuse bien, et soigneusement orné pour honorer son/ses dieu(x) : sexe, douleur, éveil de la conscience. Mais aussi un temple de rituels et de chemins de croix, de labyrinthes et d’initiations. Un temple fait pour se recueillir, dans la lumière blanche et radieuse du studio photo. Se marquer, se tatouer, c’est renaître. Aller à l’encontre d’un corps donné pour parfait, et se l’approprier, le marquer de sa présence par l’affirmation, “Ceci est mon corps”.

“La marque est une limite symbolique dessinée sur la peau, elle fixe une butée dans la recherche de signification et d’identité. Elle est une sorte de signature de soi par laquelle l’individu s’affirme dans une identité choisie. A défaut d’exercer un contrôle sur son existence, le corps est un objet à portée de main sur lequel la souveraineté personnelle est presque sans entraves. La marque corporelle traduit la nécessité de compléter par une initiative propre un corps insuffisant en lui-même à incarner l’identité personnelle.

Elle a souvent valeur d’une mise au monde.” (In L’identité à fleur de peau, de David Le Breton, sociologue, Libération, 30 mars 2000). La construction d’une identité individuelle et communautaire, c’est ce dont témoigne, avec tendresse et méthode, Karlheinz Weinberger en faisant défiler les loulous suisses des 50’s dans l’appartement qu’il partage avec sa mère. Une jeunesse ostentatoirement rebelle, provoc, stylée,
tatouée, se forgeant une attitude pour entrer dans la vie comme le plongeur dans l’eau depuis le grand plongeon, sous l’oeil fasciné d’un magasinier de Siemens zurichois.

Epidermes fins ou épais, jeunes ou tannés, intacts ou marqués, c’est le mystère sous le drap de Man Ray; à chacun sa propre énigme d’Isidore Ducasse : soi.

INFORMATIONS PRATIQUES
Skin Deep
Du 7 juin au 14 juillet 2018
Galerie Esther Woerdehoff
36 rue Falguière
75015 Paris
mar. – sam. 14h – 18h
http://www.ewgalerie.com
galerie@ewgalerie.com

 

Carine Dolek
Carine Dolek est journaliste, critique et commissaire indépendante. Directrice artistique de la galerie Le petit espace, Co-fondatrice du festival Circulation(s) et membre de l’association Fetart, elle préfère les questions aux réponses, et a exposé, entre autres, the Dwarf Empire, de Sanne de Wilde, The Curse - La malédiction, de Marianne Rosenstiehl, The Poems, de Boris Eldagsen. Elle est également lauréate du Young Curator Award de la Biennale de Photographie Photolux (Italie).

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