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La Gacilly, La Terre en Questions (Partie 3/3)
Focus sur les expositions

Temps de lecture estimé : 10mins

Ainsi Le Festival photo de la Gacilly est devenu au fil des ces quinze années un acteur important, impliqué dans la lutte pour la survie de la Planète et celle de la bio-diversité. Ce festival là, discret et juste, court sous la surface comme un courant vivifiant et heureux, fort, sous celui où s’expose, en surface, la trentaine d’auteur(e)s et d’oeuvres, dans les différentes sections.

Au bord de l’abstraction sensible, ou issu d’un regard qui s’éprend des formes primaires et en lit les messages cryptés, pour les établir en spectacle, en forces, en délicatesse, en puissance, en intentions plastiques et photographiques, le travail de Jean Gaumy D’après Nature, est pure intuition, pur jeu des formes, pur esprit du temps. Dans un Noir et blanc impeccable et très sensible, pointes sèches de l’oeil marin, Jean Gaumy célèbre l’abstraction des rochers et des espaces qui s’ouvrent en Montagne, dans l’altitude où les hommes ne peuvent édifier et où la Nature est souveraine, revenant à une perception d’avant…, trouvant dans la glaciation de l’hiver, par les neiges blanches, l’idéal contraste du Noir et Blanc, dans sa vérité langagière. Toute saison confondue, ce parti pris d’essentialité se maintient dans les bras ténus des branches grises des arbres qui se croisent, abstractions d’un cosmos en expansion, fleur de lichens, douceurs vespérales des fleurs déchues, des herbes folles, des lichens aux dents moqueuses, champs de liberté qui vibrent sous le vent léger. Un lien avec avec la peinture du Maître du Noir s’est faite contre l’ombre et le jour clair, Soulages, Michaux, autant d’amis qui viennent par le noir et le blanc de Jean Gaumy, comme en un souffle proverbial. « Les tableaux de Soulages relèvent d’une autre planète que ceux du peintre Ad Reihnardt (1913-1967), les ultimate paintings qui sont des à-plats monochromes, sombres, mats et noirs notamment, influencés par les philosophies orientales, qui explorent le vide, le rien, en éliminant toute anecdote. Une position ultra radicale de la peinture ; l’apaisement au-delà de la mort ? Au contraire, avec d’autres manières et matières, Soulages nous offre bien un plein de lumières et non le vide…. » c’est particulièrement ce qui me semble traverser les tirages exposés de Jean Gaumy.

Exposition Jean Gaumy, La Gacilly © Pascal Therme

Et puis en se promenant Emil Gataullin parait avec Douce Russie, titre qui sur le papier pourrait paraître provoquant. Pas du tout, nous ne sommes plus ici dans cette Russie des conflits, des barons du pouvoir, des sbires de Poutine, nous sommes chez Bergmann, dans cet Est libre de la sensation amoureuse, chez Tourgueniev, dans la légèreté du roman, dans l’effervescence tranquille d’une sensibilité aimante, ainsi la jeune femme qui traverse en Semeuse, ce champ de blé aux moissons, dans une couronne de fleurs, 2006, est elle l’évocation de l’amour en marche, absorbée en elle même, issue de la nature, fleur parmi les blés murs, expression d’une maturité, c’est autant une héroïne à la blondeur de Deneuve, à l’énergie de Dorléac, à l’intensité séduisante de Polanski, le Couteau dans l’eau, Cul de Sac, que la manne de Truffaut, l’héroïne truffaldienne de Baisers volés, la présence subtile de Jeanne Moreau. Mélancolie d’un frère et sa soeur 2008 est un portrait de l’intimité au sein des liens familiaux, la douceur de l’image, du plan, rapproche d’un cinéma d’auteur précité. Les personnages ont une vérité imparable, ils irradient le champ photographique de leur présence, augurale, le champ de l’âme russe peut s’y déployer, tout se dit dans les visages et les corps, tout y est fiction, théâtre, profondeur des sentiments, justesse des corps, sans que jamais ne paraisse l’intention du photographe, devenu invisible, recevant l’image dans la naturalité de la scène qui s’écrit sous ses yeux, à travers une poésie de l’instant d’où elle fuse. Cette éternité de l’instant se fait quand le regard ne cherche plus, que le photographe reçoit simplement le monde dans son énergie et sa présence. Apparait le fantôme des forêts de Vologda, 2013, A l’ombre de l’église du village rural de Kondakovo, au nord de Moscou, 2008, une jeune fille lit un livre, fichu sur la tête, un arbre foudroyé semble s’être inversé, fraicheur de l’image qui voit tout, qui retient la concentration féminine au temps de sa lecture. Le romanesque, la légèreté, et l’infinie douceur des photographies de Gataullin sont issues à la fois de cette Russie qui a disparu de nos écrans et qui revient à travers la poésie de l’instant, et à ce retour à l’image d’avant, au temps d’avant quand la vie à l’Est pouvait être noble sans être pourchassée, image plutôt vécue, pour nous occidentaux à travers le cinéma de l’école de Lodtz, de Bergmann, Wajda, Borowczyk, Forman, Tarkowski, Jancso.

Exposition Janc Schlegel, La Gacilly © Pascal Therme

Et puis après les Fables, contes imagés de Karen Knorr à l’aura des traditions orales et populaires issues des contes, où des animaux investissent hôtels occidentaux et riches palais indiens, dans une mise en scène savamment élaborée, se tiennent les Monstres et dragons de Jan C.Shlegel, insectes et papillons à la symétrie, la délicatesse, la finesse de soie, improbables et magnifiques; ainsi ce scarabé élitres recouvrant un motif zébré, ainsi les rythmes blanc en forme de mouettes volant au dessus de l’océan qui s’étendent sur l’aile duveteuse d’un papillon géant. La séduction de l’entomologiste est prise aux rais du poétique, tout est vivant.

Exposition Shana et Robert Parkeharrison, La Gacilly © Pascal Therme

Shana et Robert Parkeharrison se retrouvent dans Un monde irrél, surréel, poétique, brassant les quatre éléments dans de très beaux tirages qui irradient leur présence noire et blanche, légèrement affadie, comme si un voile de gaze fine emballait la photographie, fin linceul à la transparence organique, mue du génie, peau transparente du montage qui, dans sa technique, est oublié aussi vite que mentionné. Un personnage est toujours en action, au bord de l’absurdité becketienne du monde, dans un théâtre de l’irrationnel et dans une interrogation constante de cette condition humaine, tragique, absurde, sans vérité apparente? C’est avec humour que ce couple là, à la ville comme à la campagne, interroge nos métaphysiques questions, en riant et en jouant de la légèreté apparente de la fausseté du monde. Ce couple étonnant est étrange et précis, fantasque, il est le personnage constant de toute image, son interprète, au delà de la répartition des rôles qui fait de lui l’acteur de la scène photographiée et, d’elle, un réalisateur, qui conçoit, tire les fils de la marionnette adorée. Des études préliminaires sont réalisées ainsi que des dessins, puis des maquettes, et des installations, suite aux repérages qu’il a fallu mener.

Exposition Shana et Robert Parkeharrison, La Gacilly © Pascal Therme

Ce sont ensuite des images qu’ils associent pour réaliser le projet définitif, re-photographié, quand il est à son terme. La terre y est sous perfusion, exsangue, les arbres tronçonnés, un abîme se dessine, béance noire sur lequel le personnage, costume noir, chemise blanche, se penche pour verser des sels, chimie improbable et désuète, anachronisme des politiques environnementales saupoudrant le gouffre sombre et sans fond sur lequel le personnage est assis. Autre action, le personnage attrape des nuages au lasso et les attache à de gros piquets pour les stocker, on répare avec un emplâtre un gros arbre a demi mort dans un paysage de désolation où tous les autres arbres ont été coupés… Shana et Robert Parkeharrison n’ont peur de rien, ils illustrent ces situations dans une théâtralité épurée, s’en tenant à l’essentiel, allant toujours vers une forme de radicalité et de condensation poétique des images produites. Tout un imaginaire poétique vogue au delà de l’ombre…

Concluons que cette quinzième édition, connaisse le succès qu’elle mérite. Si nous pouvons encore nous émerveiller et prendre avec humour des situations qui semblent fortement dramatisantes, c’est que l’espoir de pouvoir les résoudre est vivant, d’autant qu’il se trouve fortifié par la constance avec laquelle l’équipe dirigeante, Auguste Coudray, Florence et Cyril Drouhet, secondé par toute une équipe engagée, offre de joies et d’esprit positif, d’énergies vivifiantes dans la réalisation d’un festival intégrant les populations locales et leurs élus, les politiques, les régions, le patrimoine et toute volonté pour se hisser collectivement le plus haut possible afin de faire reculer ce qui doit l’être. Un festival qui génère l’espoir et la réussite est en tout point un germe actif du progrès. que le progrès soit!.. bravo à tous et n’oubliez pas de prononcer cette formule magique, élégiaque, en partant, gage de bonheur, La Gacilly, La Gacilly, La Gacilly……

A LIRE : 
La Gacilly, La Terre en Questions (Partie 1/3)
La Gacilly, La Terre en Questions (Partie 2/3)

INFORMATIONS PRATIQUES
Festival La Gacilly
Edition 2018 : La Terre en Questions
Du 2 juin au 30 septembre 2018
La Gacilly, Bretagne
https://www.festivalphoto-lagacilly.com

 

Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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