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Vanessa, 2018, de la série Ellas © Karen Paulina Biswel

La Galerie Intervalle, située dans le 9ème arrondissement de Paris, annonce sa collaboration avec une d’une artiste majeure de la scène colombienne et internationale, Karen Paulina Biswel. À cette occasion, la galerie organise une exposition personnelle avec sa série Ellas à partir du 9 mars prochain. Dans ce travail, l’œuvre photographique performative s’enracine dans la quête pour une définition du genre féminin. Karen Paulina Biswell crée une zone grise entre la subjectivation et la chosification qui stimule un regard critique sur la féminité.

Karen Paulina Biswel est née en 1983 de parents colombiens qui ont émigré à Paris fuyant l’extrême violence politique du début des années 90. Son expérience du monde occidental européen et son attirance pour la rhétorique romantique de la réalité des peuples autochtones lui permettent de construire un univers visuel révélant la tension entre l’historique et le contemporain.

ELLAS*, l’exposition que Karen Paulina Biswell nous présente aujourd’hui à la galerie Intervalle, est une exposition importante. Importante d’une part pour la photographie colombienne, car elle affirme la vitalité et la créativité de la photographie argentique en la présence de tirages d’une qualité exceptionnelle, mais surtout car elle confirme la dimension artistiques des images de Karen Paulina Biswell en leur qualité performative alors qu’elle poursuit avec constance des recherches qui enfoncent toujours plus profonde’ment leurs racines dans les problématiques d’existence du genre féminin.

Dans la présentation de leur ouvrage commun « Thinking Anew », les philosophes Lucy Irigaray et Michael Marder écrivent :

« Nous devons aussi retourner à nos identités sexuelles et apprendre comment les habiter en tant que cadre, partant de ce par quoi nous pouvons nous relier à notre environnement, aux autres, et, avant tout, à nous me’mes. Plutôt que de recourir à un équipement externe ou « Gestell *» de la technique, nous pouvons approcher le tout de la place de sa morphologie qui correspond à nos identités sexuelles, sans laisser celles-ci se réduire à un neutre « quelqu’elles soient » individuel, nous pouvons par cette voie garder et cultiver nos énergies naturelles. De plus être sexué nous fournit une énergie additionnelle qui nous permet de résister à nos subjectivisations d’une énergie technologique indifférenciée et de construire un monde relationnel humain capable d’assurer la coexistence entre nous sans aucune domination ou exclusion des autres êtres vivants.»

C’est dans cette même perspective d’investigation de l’identité sexuelle qu’elle fait sienne depuis plusieurs années que Karen Paulina Biswell tisse des liens profonds avec le monde végétal et qu’elle l’utilise aujourd’hui pleinement comme allié de son travail. Car à l’instar de la sexualité féminine, le monde végétal est depuis toujours entouré de mystères. «Vita in plantis es occulta» disait Saint Thomas d’Aquin, c’est pourquoi explique encore Michael Marder, ces me’moires occultes donnent lieu au totémisme et aux rites de la fertilité. Mais les oeuvres de Karen, loin des archaïsmes, ouvrent surtout sur les « archés » d’un féminisme nouveau qui se considèrerait aujourd’hui plus phénoménologique que sociétal.

Parce que ELLAS* ce sont elles et plus que toutes, nous toutes, ses modèles, Karen choisit de les photographier toujours déplacées dans un extèrieur, libérées de tout signe d’assignation sociologique, de classification sociale. Aucune pression ne pèse sur elles afin que dans cet « ici et maintenant » puisse se manifester la réalité de leur puissance. Héroïnes de tous les possibles, femmes divines au sens d’un divin sans commencement ni fin, les voici photographiées reines intronisées par cette immobilité centrée où fusionnent, confondues, intelligences animales et connaissances végétales, simultanément offertes et prêtes à s’emparer du monde et du coeur des hommes, fatales par cette capacité latente à accomplir ces changement d’états instantanés où s’entame le chant d’Eros.

Cette puissance générative, Karen Paulina Biswell l’associe à celle des abeilles, aussi le miel coule dans cette exposition, manifestation de l’échange et de la puissance de don qui n’appartient en propre qu’au monde naturel. Une fusion s’opère et les corps même se végétalisent. Se déploie alors la somptueuse « cathédralisation » des ventres où une vie végétale murmure et frôle. Les ossatures solidement plantées deviennent « arche », point d’origine d’une architecture sacralisée dans un mouvement de verticalisation spirituelle alors qu’hors de nos vues, mais toujours tournées vers la lumière, se frayent des passages, des stratégies effrontées loin de toutes connaissances communes. Ce que nous savons du désir des femmes est souvent que nous n’en savons rien ou si peu. Paradoxe de la luxuriance des corolles et d’une culture du silence où les corps secrètent et les sensibiltés fleurissent par le travail constant d’un désir à l’oeuvre. Un désir à considérer avec le plus grand sérieux et le plus grand respect car il en va aujourd’hui de notre survie même. Mutatis Mutandis, si étant changées les choses qui doivent être changées, par suite, le secret de la plante demeure tout entier le secret végétal, derrière le silence des femmes réside la clé du devenir de l’humanité tout entière. Ainsi, les tentatives d’objectivisations de nos sciences positivistes n’y pourront rien y faire, c’est à peine si nous apercevrons par une bouche entrouverte, la germination d’une vérité se dévoilant dans une semi-obscurité.

– Texte de Sophie Boursat, artiste plasticienne, écrivaine et commissaire d’expositions.

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu09mar(mar 9)11 h 00 minsam22avr(avr 22)19 h 00 minKaren Paulina BiswellEllasGalerie Intervalle, 23, rue Le Peletier 75009 Paris


BIENTÔT À LA GALERIE

ven10fev(fev 10)11 h 00 minsam04mar(mar 4)19 h 00 minJulien MignotBefore the night is overGalerie Intervalle, 23, rue Le Peletier 75009 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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