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Rencontre avec Sylvie Zavatta, Directrice du Frac Franche-Comté

Temps de lecture estimé : 10mins

Le Frac Franche-Comté à Besançon, partage depuis 2013 avec le Frac Paca la signature architecturale du japonais Kengo Kuma dans ce bâtiment nouvelle génération rythmé par les interstices et la lumière sur les bords du Doubs. Tisser le temps dans cette cité des arts contemporaine et œuvrer pour une collection centrifuge, tels sont les objectifs que se fixe au quotidien Sylvie Zavatta, directrice du lieu et porteuse de ce projet hors norme. Sous son impulsion, le Satellite a vu le jour participant au rayonnement de la collection sur le territoire et auprès de tous les publics. Elle a répondu à nos questions.

« Se remettre en question, inventer, susciter les partenariats pour toujours mieux soutenir les artistes et transmettre leurs œuvres au plus grand nombre »

9 lives : Comment a été perçu par le public et vos équipes le Frac Franche-Comté nouvelle génération au sein de la Cité des arts dessinée par Kengo Kuma et quel est votre public le plus assidu depuis ?

Sylvie Zavatta : Avant 2013, Besançon n’avait pas de lieu de cette envergure pour l’art contemporain, contrairement à d’autres capitales régionales dotées d’un musée d’art contemporain voire d’un centre d’art important. Lors de l’inauguration du Frac, le grand public a pu être surpris à la fois par les œuvres et par la manière de les présenter. Mais je constate que le regard de ce public a évolué. Il se montre plus ouvert et curieux. Il faut dire que nous faisons un travail important en matière de sensibilisation. Ainsi le public est accueilli dans les salles d’expositions du Frac par des médiateurs à la fois pointus et soucieux de partage et nous mettons tout en œuvre pour donner des clés de compréhension des œuvres. Ce travail nous le poursuivons aussi en région en formant les médiateurs pour les expositions que nous présentons hors les murs. Par ailleurs, en écho à ses expositions, le Frac propose une programmation culturelle à la fois dense et transdisciplinaire. Cette transdisciplinarité, si elle est inhérente à la problématique du temps et de la durée qui nous intéresse, est aussi propice au croisement des publics. L’enquête que nous avons menée au cours de l’année 2016 montre que le public qui vient au Frac n’est pas seulement un public de spécialistes ou d’initiés. Il est essentiellement composé de familles, et de personnes relevant de tous niveaux sociaux-culturels. De plus, notre public se dit globalement satisfait et désireux de revenir, ce qui est très encourageant.

Pour l’équipe du Frac l’installation à la Cité des arts a été une étape importante et a constitué un grand changement. A titre personnel, c’était l’aboutissement d’un projet, puisque je suis venue à Besançon en 2005 afin de participer à la conception et à la création de cet équipement, mais aussi le début d’une aventure nouvelle. Pendant 8 années, le temps des études et des travaux, le Frac Franche-Comté s’est retrouvé sans lieu, ce qui fut difficile même si nous réalisions des expositions un peu partout en région dans le cadre de nos missions. Nous ressentions une vraie impatience d’avoir un outil adapté à nos missions, des espaces pour montrer nos œuvres et accueillir les artistes et le public. C’était aussi une nécessité pour donner à notre Frac une visibilité qui lui faisait défaut sans perdre de vue pour autant nos missions de diffusion sur le territoire à l’adresse des publics éloignés des villes qui centralisent l’offre culturelle.

M. : La thématique centrale de la collection est le Temps en résonnance avec l’histoire de la région, comment cela se traduit-il dans vos choix et orientations ?

S. Z. : Effectivement, il y a un ancrage régional avec cette question puisque la Franche-Comté possède une tradition horlogère et Besançon un Musée du Temps. Un ancrage de cette nature pour développer une collection d’art contemporain est toujours intéressant en ce sens que le public se trouve en terrain connu. Mais ce n’est pas la seule motivation qui a présidé à ce choix bien évidemment. J’ai proposé cette problématique pour son ancrage dans l’histoire de l’art, son actualité et son ouverture à d’autres disciplines. En outre, le temps qui m’intéresse n’est pas seulement le temps compté ou le temps mécanique, même si certaines œuvres relèvent de cela, c’est plus encore le temps vécu : le temps qui se manifeste dans les œuvres citationnelles, les œuvres en mouvement, les « works in progress », les œuvres à réactiver, les performances, et les œuvres sonores, puisque le son n’a d’existence que dans la durée…

M. : Parlez-nous de la genèse de l’exposition actuelle Grammaire sentimentale de l’artiste Gérard Collin-Thiébaut installé dans la région et de la programmation à venir d’artistes plus jeunes et internationaux Saâdane Afif et Georgina Starr ?

S. Z. : La programmation que je propose est toujours en lien avec la collection. Les expositions thématiques abordent les problématiques qui la fondent tandis que les expositions monographiques concernent les artistes de la collection, ce qui est le cas de Gérard Collin-Thiébaut. J’ai toujours été attentive au fait de montrer de façon équitable des artistes internationaux et des artistes français.

En ce qui concerne Gérard Collin-Thiébaut, il s’agit d’un artiste qui a eu une visibilité importante dans les années 80-90, mais qu’on a moins exposé par la suite alors que son travail reste très actuel dans son approche de l’art, du monde de l’art et les pratiques qui sont les siennes. Cela me semblait important de remettre en avant ce travail et cette personnalité qui vit dans notre région, qui a aussi participé à sa vie artistique et qui a formé de nombreux jeunes artistes lorsqu’il était professeur à l’Ecole des beaux-arts de Besançon. Je souhaitais aussi que dans cette exposition, il s’empare de la collection du Frac et en donne sa propre lecture. Cela a donné lieu à un accrochage inédit.

Les deux expositions de cet été sont consacrées à deux artistes de la même génération dont nous avons acquis des œuvres récemment, à savoir Georgina Starr et Saâdane Afif. Tous deux, post-conceptuels, ont en partage un intérêt pour l’univers musical, les vinyles, Thomas Edison, les récits, les performances et l’ésotérisme.

M. : Pourquoi présenter prochainement des œuvres dans un musée des arts et traditions populaires à Fougerolles, comme cela avait déjà été le cas en 2007 ?

S. Z. : Cette exposition est intitulée « Les Inattendues » parce qu’il peut sembler étrange de trouver des œuvres d’art contemporain dans un musée de cette nature qui expose des objets et des documents afin de sauvegarder la mémoire du patrimoine matériel et immatériel d’un territoire et d’une population.

Pourtant à l’instar de ce musée, l’art contemporain interroge, à sa façon, l’histoire, la mémoire, le temps, l’identité et les faits de société. L’un comme l’autre sont en prise directe avec les problématiques liées à la représentation du réel. Et beaucoup d’autres points communs peuvent encore être soulignés.

Bien que conçue pour refléter une réalité historique, chaque salle (ou composition) de ce type de musée est une construction dont la structure n’est pas pleinement cohérente (des rapprochements sont parfois incongrus ou anachroniques comme si on avait voulu condenser le réel ou opérer des raccourcis temporels). Dès lors, l’Ecomusée pourrait être dans sa globalité l’œuvre d’un de ces nombreux artistes contemporains dont la recherche relève de l’inventaire ou du récit voir du « reenactment », une pratique amateur visant à la reconstitution grandeur nature d’événements historiques dont les artistes s’emparent depuis plusieurs années pour interroger l’écriture de l’histoire et ses résonances dans le temps présent.

Mais c’est sans doute autour de leur intérêt mutuel pour les objets quotidiens, via leur utilisation, leur accumulation, voir leur détournement, que les rapprochements entre un musée des ATP et l’art contemporain sont les plus évidents.

Depuis Picasso et les collages cubistes, l’objet usuel est présent dans l’art, l’objet réel s’entend et non sa représentation.  Avec Marcel Duchamp et ses ready-made, l’objet, simplement extrait du réel, atteint même au statut d’œuvre d’art. Avec le Pop art et le Nouveau Réalisme à leur suite, les artistes s’emparent de la culture populaire, manifestant leur prédilection pour le trivial afin de s’opposer à l’art du passé, mais aussi leur volonté de questionner les limites entre art et non art et de faire converger l’art et la vie. Cet engouement pour l’objet ne s’est pas démenti depuis, comme en témoignent les œuvres du frac présentées dans cette exposition.

Ce sont ces similitudes et ces convergences d’intérêt pour le quotidien, pour la représentation du réel, mais aussi pour les questions sociétales, telles le pouvoir, l’économie, le travail, les croyances, bref tout ce qui touche à la vie, qui ont donné l’idée de cette exposition. Celle-ci se présente à son tour comme un collage, créant entre des objets aux statuts différents, dialogues ou collisions, continuités ou ruptures, adhésions et décalages pour permettre d’interroger différents niveaux de réalité ou de fiction.

M. : En 2015 le Satellite est inauguré, espace d’exposition mobile, également des résidences sont montées avec le Conservatoire en quoi ces initiatives répondent-elles à votre volonté d’inscrire l’art dans la ville et au-delà ?

S. Z. : J’ai voulu rapidement proposer la création de cet outil parce qu’il était important de faire comprendre que le Frac, en s’installant à la Cité des arts, n’allait pas se sédentariser. De plus, il n’y a pas énormément de lieux susceptibles d’accueillir de l’art contemporain sur le territoire, c’est une difficulté majeure lorsqu’on est censé montrer des œuvres dans de bonnes conditions esthétiques mais aussi de conservation préventive. J’ai donc demandé à un jeune architecte, Mathieu Herbelin, de redessiner un camion que nous possédions et d’y concevoir l’aménagement en galerie mobile. Depuis 2015, notre Satellite irrigue le territoire. Il est accueilli par des établissements scolaires, des associations, des communes et est présent lors de festivals tels les Eurockéennes de Belfort ou Idéklic à Moirans-en-Montagne, mais aussi lors des 24h du Temps à Besançon. Il est bien entendu systématiquement accompagné de médiation, en amont avec les structures accueillantes et en aval avec les publics. Ce dispositif remporte un vrai succès, au point que nous ne pouvons pas répondre à toutes les sollicitations. Je m’aperçois que désormais la démarche s’inverse. Si avant 2013, nous étions à la recherche de partenaires en région, aujourd’hui nous sommes sans cesse sollicités. Preuve que le travail que nous avons accompli depuis de longues années en faveur de la démocratisation de l’art contemporain porte enfin ses fruits.

Les invitations dans le cadre des résidences ont été engagées avant mon arrivée. Elles étaient menées en partenariat avec les Frac du Grand-Est. Aujourd’hui, ces résidences se poursuivent avec d’autres partenaires : le Frac PACA et le CRR essentiellement.

Avec le premier, nous avons inauguré en 2016 une résidence croisée. C’est ainsi qu’Arnaud Maguet, qui vit en PACA, est venu travailler à Besançon, tandis que Rodolphe Huguet, qui vit en Haute-Saône, a été accueilli à Marseille. Avec le CRR, il s’agissait d’une invitation commune à Joëlle Léandre, compositrice et contrebassiste de grand talent qui est venue travailler avec les élèves du Conservatoire, a donné des conférences et des concerts au Frac et composé une nouvelle pièce.

Joëlle Léandre entretient avec le Frac des relations privilégiées de longue date. C’est la raison pour laquelle elle a fait don tout récemment de l’ensemble de ses archives au Frac, lui préférant ce lieu transdisciplinaire à un lieu exclusivement dédié à la musique ce dont nous sommes très honorés.

INFOS PRATIQUES :
Grammaire sentimentale
Gérard Collin-Thiébaut
Jusqu’au 30 avril 2017
http://frac-franche-comte.fr///scripts/fiche-exposition.php?id_expo=165
• Les Inattendues : le Frac Franche-Comté à l’écomusée du pays de la cerise de Fougerolles
Jusqu’au 12 novembre 2017
http://frac-franche-comte.fr//scripts/fiche-exposition.php?id_expo=169
• Prochainement : Saâdane Afif et Georgina Starr
Le Satellite, un outil de diffusion en région
http://frac-franche-comte.fr/scripts/fiche-exposition.php?id_expo=170

FRAC Franche Comte
2, passage des arts
25000 Besançon

http://www.frac-franche-comte.fr

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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