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Trois questions à Dirk Snauwaert, Ellen Gallagher au WIELS (incontournable !)

Temps de lecture estimé : 5mins

On se souvient de sa monographie à la Tate en 2013, « AxME », Dirk Snauwaert directeur du WIELS propose « Liquid Intelligence » un projet magistral orchestré par l’artiste américaine Ellen Gallagher (Galerie Gagosian, Hauser & Wirth). C’est un retour pour l’artiste, mise à l’honneur une 1ère fois dans « le Musée Absent » en 2017 qui cette fois a collaboré avec le cinéaste néerlandais Edgar Cleijne autour d’explorations filmiques de mondes sub aquatiques, rejoignant sa formation de biologiste et son intérêt pour les micro organismes.

Une narration envoutante qui mêle références historiques de la diaspora africaine et projection subjective liées aux représentations des idoles noires et leur mythologie. Un récit qui résonne autrement à celui actuellement en vigueur avec la réouverture du musée de Tervuren.

1. Liquidité de la mémoire, liquidité de l’image, liquidité de l’identité, comment avez-vous construit avec l’artiste ce parcours qui agit comme un cheminement intérieur ?

Dans un contexte de tensions actuelles liées à cette liquidité des identités, Ellen Gallagher appartient à cette génération pionnière qui a du faire face à une certaine ostracisation et marginalité due aux diktas de la modernité en vigueur. Il y a chez elle cette forme de perméabilité puisée chez les surréalistes, engageant des substances et matériaux mouvants, à l’opposé d’un certain positivisme de la modernité. Une pensée du métissage entre Deleuze et Glissant européenne et caribéenne, un horizon théorique et politique dont elle se saisit pour en donner un espace sensoriel. Son passé de micro biologiste l’a fortement influencé vers cet univers scientifique de milieux sous marins, un savoir faire qu’elle transcrit à sa manière à partir d’une pratique de collages, d’incisions, de recouvrements que l’on retrouve chez ses collèges masculins contemporains mais qu’elle teinte d’une empreinte particulière.

2. Liquidité de l’histoire du cinéma avec un retour au cyanotype et l’utilisation des pigments naturels comme l’indigo couleur très chargée dans l’histoire de l’humanité, qu’elle entremêle avec une grande subtilité au récit officiel

Il est question de la peau, de la matérialité, de ce qui est incarné, à l’opposé du virtuel et du consumérisme, un côté artisanal dans ce cinéma archaïque avec la figure de Méliès omniprésent. L’installation « Highway Gothic » visuelle et sonore, se penche sur les implications écologiques de l’Interstate 10, autoroute qui traverse le bassin d’Atchafalaya, la plus grande étendue marécageuse des Etats Unis, ces bayous du Mississippi, menacés par ce trafic autoroutier.
Avec « Osedax » il s’agit de la chute des baleines, dont les carcasses dévorées par les charognards seront transformées. L’espace d’exposition devient un atelier d’impression où des lianes de plastique ou de toile de jute suspendues sentent encore la tenture fraîche.

3. Contexte du retour des œuvres d’art africain et réouverture de Tervuren

C’est un fait important pour nous en Belgique même si en Europe nous n’avons pas une conscience suffisante ce que représente Tervuren dans le monde africain et sa diaspora. C’est un musée qui revendique au départ une approche pseudo scientifique liée aux expositions universelles avec des scènes vivantes et dioramas qui cachaient des exactions commises sur des êtres humain. Si Tervuren est un symbole plein d’ambiguïtés il est important d’avoir des auteurs comme Ellen Gallagher qui posent cette question de la restitution, du retour. Aux Etats Unis les mouvements pour le retour en Afrique ont échoué car il n’existe pas d’état pur originel, ainsi pour les objets on sera confronté à un enjeu similaire. La question de la restitution est brûlante et Gallagher dit qu’il ne peut pas étre envisagée de façon simpliste. En même temps ce vestige de l’éléphantine dans l’architecture Art Nouveau suite à l’Expo Universelle de 1897, référence que l’artiste reprend dans une peinture, a permis aussi aux femmes de s’émanciper du corset. Des dimensions du récit historique encore une fois inattendues que soulève l’artiste. Idem avec ces pieds d’éléphant totem largement répandus dans de nombreux musées aux Etats Unis qui symbolisent une certaine aliénation de l’objet. La question de l’autre, de l’étrange, de l’altérité, de l’ailleurs, du proche et du lointain, de l’invisibilité ou l’opacité.
Comment inventer des imaginaires de résistance et de refus, de retrait comme avec le maronnage culturel, l’absorption des quasi monochromes noirs qui créent un espace incontrôlé, ou avec le duo de musique Drexciya de Détroit et ces projections extra terrestres sous marines imaginées à partir des sombres traversées des navires négriers qui se délestaient de leurs cargaisons au milieu de l’Atlantique.

Une publication est prévue, ayant peu d’écrits francophones et néerlandophones, regroupant les essais de Elvan Zabunyan (historienne, professeure à l’Université de Rennes) et de Robin Kelley (historien, professeur à l’UCLA, USA).

INFOS PRATIQUES :
Liquid Intelligence
Ellen Gallagher avec Edgar Cleijne
Jusqu’au 28 avril 2019
WIELS, Centre d’Art Contemporain
Avenue Van Volxem 354
1190 Bruxelles
http://www.wiels.org

A LIRE : 
Rencontre sans concession avec Dirk Snauwaert, directeur du WIELS, centre d’art contemporain, Bruxelles (1ère Partie)
Rencontre sans concession avec Dirk Snauwaert, directeur du WIELS, centre d’art contemporain, Bruxelles (2nde Partie)

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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