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Manifesta étant décentralisé dans les environs de Barcelone, voici quelques immanquables en ville. Le MACBA propose un nouvel accrochage de ses collections sous l’angle de la poésie et la redécouverte de la peintre et poétesse féministe catalane Mari Chordà. Au CCCB, la banlieue américaine et ses dérives est l’occasion pour le commissaire franco-espagnol Philippe Engel de livrer une dystopie relayée par toute la culture visuelle et l’industrie du divertissement tandis que notre Agnès Varda nationale dialogue avec des créateurs catalans. Vamos !

Mari Chordà, ”Líquids”, 1966. MACBA Collection. MACBA Foundation. Work Acquired Thanks to BANC SABADELL Foundation. © MARI CHORDÀ, VEGAP, BARCELONA. PHOTO: FOTOGASULL

MACBA

Collection Prelude. Poetic Intention

Le nouvel accrochage du MACBA vise à instaurer une nouvelle dramaturgie selon la pensée de Glissant. D’une grande cohérence la sélection autour d’oeuvres récemment acquises, renvoie au langage et ses non-dits, au poétique et au politique avec les œuvres vidéo d’Adrián Balseca, Katia Kameli et Danica Dakić, ainsi que l’installation 77 (2014) de Younès Rahmoun. Dora García, Soledad Sevilla, Marcel Broodthaers, Daniel G. Andújar et Antoni Tàpies cherchent à traduire l’indicible, les failles, les fragilités.

Vues de l’exposition « COLECCIÓN MACBA. PRELUDIO. INTENCIÓN POÉTICA ». Foto: Miquel COLL, 2024.

Mention spéciale à l’œuvre d’Oussama Tabti qui scanne les dernières pages d’une quarantaine de livres où figure la date d’emprunt à la bibliothèque de l’ex- Centre Culturel Français d’Alger. Il constate une interruption de dates entre 1994 et les années 2000, au moment de la fermeture des portes de l’Institut par les évènements politiques d’alors. Une parenthèse qui dit une béance de l’histoire.

La notion de sujet, de corps et d’altérité innerve les œuvres de Lucia Nogueira, Lola Lasurt, Lara Fluxà, Charo Pradas, Ana Prada, Carmen Calvo, Rosemarie Trockel…

Vues de l’exposition « COLECCIÓN MACBA. PRELUDIO. INTENCIÓN POÉTICA ». Foto: Miquel COLL, 2024.

Dans le cadre des projets spécifiques dans les espaces du musée, le projet d’Eva Fàbregas (exposée à Manifesta dans la prison de Mataro), coproduit avec la Fundación Botín, entre en dialogue avec l’installation de Luz Broto, commencée depuis le vernissage de l’exposition. Dans la tour du musée sont exposées les deux Tunneladoras (2022) de Teresa Solar, qui faisait partie de la Biennale de Venise 2022.

Les positions féministes et queer, sont présentées des œuvres de Mireia Sallarès avec « Las muertes chiquitas » L’artiste s’est livrée à une vaste enquête de terrain au Mexique auprès de 30 femmes de conditions, d’âges et d’origines différents autour de leur expérience de l’orgasme féminin. A partir d’un néon rose généralement placé dans des lieux publics cette parole intime se diffuse et devient partagée, comme une catharsis collective, vecteur d’émancipation et de résistance selon les méthodes d’investigation de l’artiste.

Mari Chordà

La lutte pour donner de la visibilité aux femmes, l’activisme, la poésie et une sexualité libre sont étroitement liés à l’œuvre de Mari Chordà (Amposta, 1942) qui est une pionnière. En réponse à la dictature franquiste, elle se saisit de questions liées au plaisir, à la maternité, au lesbianisme dans des peintures à l’érotisme peint et aux accents Pop. Pour elle comme pour d’autres « le personnel est politique ». En parallèle à ses peintures et poésie, elle fonde différents lieux de résistance : Lo Llar, à Amposta, ou laSal Bar-bibliothèque féministe à Barcelone, qui devient le siège de la première maison d’édition féministe catalane.

Mari Chordà, ”Líquids”, 1966. MACBA Collection. MACBA Fondation. Work Acquired Thanks to BANC SABADELL Foundation. © MARI CHORDÀ, VEGAP, BARCELONA. PHOTO: FOTOGASULL.

Le titre de l’exposition renvoie à son premier recueil de poèmes.

Toujours au Macba, l’exposition « Une ville inconnue sous la brume. Nouvelles images de Barcelone depuis les quartiers » est née d’une commission du Plan de Quartier de la Mairie. Le projet comprend treize missions, certaines à caractère transversal traversant les quartiers, d’autres à caractère très spécifique sous forme d’études de cas. A la fois topographique, sociologique, cette enquête documentaire rejoint les ambitions de la Datar en France. L’urbanisme social-démocrate de la « reconstruction de Barcelone » des années 80 ne peut être compris sans l’héritage du mouvement de quartier des années 70. Ce projet est également une réflexion sur l’évolution des mouvements sociaux depuis cette décennie et sur les nouveaux mouvements qui ont émergé à l’échelle locale au cours des vingt dernières années. Autre travail à partir de l’histoire du flamenco à Barcelone. Une évocation historique pour établir une nouvelle cartographie et combiner des enregistrements d’artistes actuels avec des visites de lieux significatifs de la culture flamenco. La salle dédiée à l’atelier de broderie avec un groupe de femmes réfugiées d’Afghanistan est particulièrement forte. Les broderies, réalisées sur les foulards blancs caractéristiques des étudiants afghans, dialoguent avec les photomontages de Martha Rosler autour des notions d’émancipation féministe.

Donner à voir les quartiers de la périphérie et un autre visage de Barcelone rejoint en quelque sorte les objectifs de Manifesta.

INFOS PRATIQUES :
MACBA. Preludio. Intencion Poetica
Mari Chordà .. y muchas otras cosas
Jusqu’au 12.01.2025
https://www.macba.cat/es/obra/r5858-las-muertes-chiquitas/

CCCB, 2024 / CC BY-SA-NC Cris Palomar

CCCB Suburbia, Building the American Dream

La banlieue cauchemar du rêve américain ? pourrait être le sous-titre de cette magistrale exposition qui vient de se terminer au CCCB. A partir du fameux recueil de photographies de Bill Owens Suburbia, ce motif urbain qui s’est imposé comme modèle culturel exporté dans le monde entier est définitivement associé à la psyché américaine. Le commissaire franco-espagnol s’est penché avec brio sur ce modèle de « rêve en préfabriqué » n’en finit pas d’alimenter le marketing et toute une idéologie contemporaine fondée sur les fantasmes de l’ American dream. Le décor est planté dès le départ : une maison entourée de gazon, avec piscine dans le jardin arrière, et deux voitures dormant dans le garage. Un drapeau américain, un panier de basket et un barbecue pouvant compléter le paysage. Vous êtes bien dans Desperate Housewives ! Ce paradis sur pellicule (film de Frank Perry The Swimmer avec Burt Lancaster) va connaitre une rationalisation avec Ford et l’avènement de la voiture individuelle et le développement des moyens de transport qui font des quartiers résidentiels de véritables havres de paix. Le baby-boom d’après-guerre encourage le phénomène avec l’accès à la société de consommation (aspirateur, machine à laver..) même si les tensions raciales persistent comme le souligne le photographe Norman Rockwell avec News kids in the neighbordhood.

CCCB, 2024 / CC BY-SA-NC Cris Palomar

Bientôt le rêve tourne au cauchemar et à la paranoïa si l’on en croit la littérature ou le cinéma. Les photographes Gregory Crewdson, Amy Stein, Todd Hido ou Angela Strassheim sondent cette menace latente qui n’épargne pas l’ordre rassurant de ces banlieues. La série sur les armes à feu du photo-reporter Gabriele Galimberti est d’ailleurs significative de ces symptômes toxiques. L’impact écologique d’un tel modèle est dénoncé dans la dernière partie du parcours en termes d’urbanisme et de facture énergétique. Les promoteurs continuent d’alimenter la machine à cash y compris en Catalogne dans une version débridée de cet american way of life. Les limites de ce rêve sont belles et bien atteintes et même si elles ont alimenté nos imaginaires pendant de plusieurs décennies, il est temps de tirer la sonnette d’alarme.

Agnès Varda « Fotografiar, filmar, reciclar »

Les amateurs d’Agnès Varda seront comblés avec cette exposition qui est une reprise de celle de la Cinémathèque française. Je ne l’ai pas revu, le programme de Manifesta ne laissant que très peu de temps libre ! Les créateurs catalans et espagnols y sont mis à l’honneur : Joan Fontcuberta, Miquel Barceló, Antoni Tàpies, Isa Feu, Isaki Lacuesta dans des allers et retours et inspirations réciproques. Une œuvre de la cinéaste Mercedes Álvarez spécialement créée pour l’occasion.

INFOS PRATIQUES :
Agnès Varda
Jusqu’au 8 décembre 2024
Suburbia, la construction du rêve américain (évènement terminé)
https://www.cccb.org/en/program/exhibitions

 

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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