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Rencontre avec Guillaume Désanges à la Verrière Hermès Bruxelles

Temps de lecture estimé : 8mins

Nous rencontrons Guillaume Désanges commissaire d’expositions et critique d’art, alors qu’il vient de signer le prochain cycle d’expositions pour la Verrière Hermès. Après « Poésie Balistique » et ce dernier volet dédié à l’artiste belge Jacqueline Mesmaeker, l’occasion nous est donnée de faire un premier bilan sur cette ligne et intégrité défendues à travers des propositions aussi variées qu’Ismaïl Bahri, Dora Garcia, Jean Luc Moulène, Hessie, Isabelle Cornaro… et d’interroger aussi les ressorts inhérents à une pratique curatoriale qui l’a conduit récemment à concevoir avec Neil Beloufa « l’Ennemi de mon ennemi » au Palais de Tokyo, proposition marquante à plus d’un titre.

Marie-Elisabeth De La Fresnaye : Genèse de l’exposition dédiée à Jacqueline Mesmaeker et choix de cet artiste relativement méconnue en dehors de la Belgique 

Guillaume Désanges : Jacqueline Mesmaaker est une artiste rare, qui est restée dans une forme si ce n’est de marginalité,disons de discrétion, pas seulement subie, mais dans la lignée d’un travail qui ne s’impose pas. Une démarche clandestine qui s’incarne dans les choix qu’elle a fait pour cette exposition assez minimale, avec des œuvres aux limites de l’invisiblité. J’avais envie de montrer ce travail depuis ma rencontre avec Jacqueline à Bruxelles il ya quelques années. Mais j’attendais une occasion car, comme vous le savez, je travaille par cycles thématiques.  Or, il y a chez elle un caractère extrêmement précis et conceptuel et en même temps très poétique et littérraire, en parfaite résonnance avec les deux pôles de cette idée de poésie balistique. D’autre part, le lien du travail de Jacqueline avec celui de Marcel Broodthaers, un poète avant d’être plasticien, qu’elle a d’aillleurs connu personnellement, me permettait de boucler ce cycle placé sous l’égide de Broodthaers. Comme un serpent lové sur lui-même, cette programmation de trois ans revient donc sur ses prémices à grâce à Jacqueline Mesmaeker

M-E. d. l. F. : Fin du cycle Poésie balistique, quels en ont été les temps forts, les révélations, les apprentissages ?

G. D. : Cette dernière exposition ouvrant des perspectives encore inexplorées, il est un trop tôt pour se retourner. Je peux néanmoins déjà dire que cycle a été, comme je m’en doutais, infidèle à lui-même, puisqu’il a démarré avec des présupposés pour se continuer dans l’errance en fonction des propositions des artistes. On dit souvent qu’un travail de commissaire ou un sujet d’exposition vient dévier le travail d’un artiste, ce qui est en partie vrai, mais à l’inverse le travail des artistes vient contester une thématique. Du travail foisonnant et presque surréaliste de Douglas Eynon et Erwan Mahéo, jusqu’au geste radical et très tranchant de Jean Luc Moulène en passant par les dessins de Marie Cool Fabio Balducci et les images de Tris Vonna Mitchell : il s’agit de tout sauf d’une ligne droite. J’ai été très fier de la manière dont les artistes ont joué le jeu de la thématique tout en la déviant, prenant cette question au sérieux chacun à sa manière. Chacun a pris au mot l’idée de poésie balistique, comme Dora Garcia de manière directe avec une référence immédiate au texte de Heidegger « The Thinker as Poet » pour créer un ensemble d’œuvres nouvelles qui a conduit à sa grande rétrospective Reina Sofia de Madrid, « Second Time Around ». Ce qui est intéressant est comment une simple nomination des choses peut donner une couleur, une perception particulière à un travail. C’est une leçon à tirer de ce cycle : en plaçant une œuvre exigeante sous l’égide d’un mot aussi déterminant et insaisissable que poésie balistique, on appuie sur cette tension entre la rigueur et la fuite, entre le programme et son échappée dans l’art dit conceptuel.  C’est exactement ce qui est au cœur du travail de Jacqueline Mesmaeker, d’ailleurs : d’une photo relativement banale de paysage prise au bord de l’autoroute nommée « Versailles avant sa construction », d’un tissu rose placé aux interstices d’une architecture réelle ou supposée, d’une cascade de mots sur les murs à une poire pétrifiée, l’essentiel échappe et se dérobe à l’intelligence.

M-E. d. l. F. : Quel regard portez-vous sur les ambitions de la Fondation Hermès et la place du mécénat d’entreprise en France dans le soutien à l’art et la création ?

G. D. : C’est un fait, le mécénat privé de l’art contemporain en France est en développement depuis quelques années, et ce phénomène semble s’accélérer. Comme d’autres fondations aujourd’hui Hermès s’intéresse à l’art contemporain, souhaitant proposer des formes d’intervention que ce soit par le biais de résidences d’artistes, d’expositions à travers plusieurs espaces dans le monde, de commandes et soutien à l’édition. Cela vient s’ajouter à d’autres préoccupations artistiques, mais aussi d’ordre écologique et social autour de la question des métiers et savoirs faires. En ce qui me concerne, je voudrais que la Verrière apporte une temporalité différente dans le monde de l’art, et une forme de protection de la création. Une des principales différences de ce lieu est de pouvoir dépasser les pressions liées d’un côté au marché, de l’autre au public, et donc d’échapper à l’exigence d’une certaine rentabilité ou de prescription populaire. Ces deux formes de liberté par rapport à ces problématiques permettent peut-être les projets spécifiques qui ont dessiné le cycle Poésie balistique, et lui ont donné son esprit.

M-E. d. l. F. : Votre rôle auprès de Neil Beloufa au Palais de Tokyo, pour l’Ennemi de mon ennemi, a marqué les esprits, quels prochains projets de commissariat, de « metteur en scène d’histoire de l’art  » ou d’écriture vous animent ?

G. D. : J’ai plusieurs projets en cours. Notamment dans le prolongement de l’exposition à la Maison Rouge de 2017 « l’Esprit français », autour des contre-cultures, curatée avec François Piron, je travaille sur une généalogie inventée des solidarités ouvrières, étudiantes et paysannes dans l’Ouest de la France, à Saint Nazaire avec le centre d’art le Grand Café.  Par ailleurs, je démarre un prochain cycle de la Verrière « Matières à panser » qui opérera un retour à la matière comme alternative à l’économie dominante à travers des pratiques à la marge, qu’elles soient artisanales, symboliques, fétichistes, thérapeutiques ou magiques.

M-E. d. l. F. : Quel a été le déclic qui vous a fait épouser la cause de l’art ?

G. D. : Il y en a plusieurs. L’une de ces étincelles a été la visite d’expositions au Louvre en 2001 organisées par le commissaire Régis Michel, « Posséder et détruire » et « la Peinture comme crime » : deux expositions qui mélangeaient art classique du Louvre mais aussi art contemporain, (des Actionnistes viennois aux dessins de David ou Géricault). Dans leur complexité et ce mélange entre la connaissance et une certaine dose de mystère, ces expositions accompagnées d’un rapport critique à l’art contemporain et à l’institution, m’ont marqué et m’ont inconsciemmentdonné l’envie de me confronter à ces enjeux.

M-E. d. l. F. : Si vous aviez une devise..

G. D. : Une exposition est plus que la somme de ses éléments constitutifs, tout comme l’identité d’un lieu est plus que la somme de ses expositions. C’est là où se joue le rôle du curateur : parvenir par petites touches précises et intuitives à dessiner une trajectoire, une exigence, un esprit. C’est ce que j’essaie de jouer à chaque exposition.

M-E. d. l. F. : Un conseil pour de futurs curateurs ?

G. D. : C’est difficile de donner des conseils car chacun arrive avec sa biographie personnelle et par ailleurs, je n’ai pas étudié l’histoire de l’art, ni eu la chance de suivre des études curatoriales. Je pense que les jeunes curateurs sont aujourd’hui plus informés que moi sur certains rouages de l’art contemporain, donc difficile de leur faire la leçon. Alors, s’il y avait un conseil tout de même : ne pas se laisser enfermer par trop de connaissances qui limitent les ambitions et les imaginaires.

INFOS PRATIQUES :
Jacqueline Mesmaeker
Exposition du 1er février au 30 mars 2019
La Verrière, Hermès
50, boulevard de Waterloo
1000 Bruxelles, Belgique
(fin du Cycle Poésie balistique)
L’artiste est représentée par la galerie Nadja Villene (Liège).
Les programmes de la Fondation dans le monde :
www.fondationdentreprisehermes.org/fr

Actualités de Guillaume Désanges :
guillaumedesanges.com

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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