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Jonathan Loppin : «  Les vidéos d’Antoine de Galbert sont à l’image de ce qu’il est et de ce qu’était la Maison Rouge, une multiplicité de formes et de questionnements »

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Nous avions rencontré Jonathan Loppin et découvert le SHED, centre d’art contemporain en 2019 à l’occasion des expositions « Concorde » de Simon Boudvin (SHED) et « Tuilerie » de Lou Parisot (l’Académie) . Alors qu’il a su organiser pendant le confinement une nouvelle plongée dans la collection vidéo d’Antoine de Galbert avec « Day for (your) night », Jonathan Loppin nous donne sa vision de la singularité de cette collection. Il revient également sur l’impact de cette période en tant que responsable du Centre d’art et artiste et prépare pour Normandie Impressionniste une double exposition Bruno Peinado et Flora Moscovici.

Pendant le confinement le Shed a de nouveau invité la collection vidéo Antoine de Galbert : genèse et enjeux

En 2016 il y a tout juste 4 ans, le SHED était labélisé par le festival Normandie Impressionniste avec une thématique sur le portrait et avec Julie Faitot avec qui j’ai fondé Le SHED, nous avions décidé de proposer un portrait de collectionneur à travers la collection d’Antoine de Galbert. C’est par l’intermédiaire d’Anita Molinero notre présidente à ce moment-là qui connaissait bien la collection vidéo d’Antoine de Galbert, que nous l’avons contacté. Nous lui avons proposé de montrer non pas la totalité des vidéos car certaines nécessitent un protocole très spécifique mais 46 qui ont des durées et des formes différentes qu’il fallait conjuguer dans une mise en condition particulière. Tout le SHED était plongé dans le noir d’où le titre « Day for night » qui renvoie à la nuit américaine dans le cinéma, avec un gros cube à 4 faces façon lanterne magique qui projetait 4 films, différents ou identiques selon leur nature, entre immersion totale et son englobant ou ambiance plus intime et son exclusif. L’ensemble de la collection est suffisamment singulière pour pouvoir déceler comment Antoine de Galbert collectionne, ce qui se vérifie aussi avec la vidéo. Les vidéos sont toujours difficiles à montrer dans une exposition car cela cohabite mal avec d’autres mediums. Ses conditions de monstration sont exactement à l’inverse de celles de la sculpture par exemple, du noir alors qu’il faut de la lumière pour exposer la sculpture, un dispositif sonore alors qu’en général il est plus agréable de regarder des œuvres d’art dans le silence. Nous avions transformé le SHED en une sorte de quadruple cinéma.

Durant le confinement nous nous sommes posés la question comme beaucoup de lieux, de comment montrer de l’art sans ouvrir le lieu. Tous les lieux se sont engagés dans le digital avec de nombreuses idées qui sont intéressantes en terme d’archives et de documentation mais pas complètement satisfaisantes. C’est aussi l’un des enseignements du confinement que rien ne remplace le réel ce qui est plutôt rassurant, excepté pour la vidéo qui m’a semblé alors le medium idéal à transposer chez les gens, dans un face à face direct sans contraintes de temps ou autres. En général dans les expositions quand on arrive dans une salle avec une vidéo le réflexe est de regarder sa montre pour évaluer si on a le temps de la regarder par rapport au reste du parcours et élaborer tout un stratagème. Alors qu’avec cette formule on peut choisir son moment. Quand on l’a proposé à Antoine de Galbert sa seule restriction était une qualité parfaite, ce qui rentrait parfaitement dans nos objectifs et à l’issue d’un test qu’il a regardé il a été convaincu par ce rapport assez intime qui se dégageait sans doute plus fort que dans une exposition où de multiples interférences peuvent intervenir. Ce projet est né de la circonstance du confinement et de l’envie de revisiter ce medium. Le grand avantage de cette exposition en ligne est d’avoir pu travailler à distance tout en la préparant comme si c’était une exposition que nous allions ouvrir.

Que nous disent ces videos de l’état du monde et de cette période que l’on traverse ?

Comme l’ensemble de la collection d’Antoine de Galbert, elles sont à l’image de ce qu’il est, ce qu’était La Maison Rouge : une diversité de formes et de questionnements sur le statut de l’œuvre d’art ; Antoine de Galbert collectionnant aussi de l’art brut et d’autres objets qui gravitent autour (les coiffes de tous les continents qu’il a offertes au musée des Confluences). Cela nous dit que l’art est partout et les artistes sont là pour le révéler. Il y a aussi bien des films documentaires dans cette sélection, de l’humour noir, de la satire politique, des autoportraits comme pour cette 5ème semaine avec Barthélémy Toguo qui arrose inlassablement un dollar pour le faire pousser, Adam Vackar qui se prend des baffes au ralenti, Patty Chang qui boit l’eau sur un miroir dont le reflet lui échappe et lui renvoie une image brouillée, sorte de mise en abyme. Ce regard sur le monde porté par des artistes internationaux ne se veut pas consensuel et est parfois dur.

Votre participation au Festival Normandie Impressionniste 2020

Nous invitons Bruno Peinado au SHED et Flora Moscovici à  l’Académie deux artistes qui se connaissent par Douardenez et partagent une vision de la peinture sans tableau. Je voulais inviter Flora Moscovici depuis un moment, j’y ai pensé notamment pour l’inauguration de l’Académie, notre second lieu. Elle a la particularité comme le fait Katarina Grosse de peintre l’espace, les murs mais aussi les plafonds, les sols, les objets. On entre de plein pied dans la peinture. C’est un clin d’œil à l’immersion de Monet avec les Nymphéas et les impressionnistes qui ont ouvert la voie à l’abstraction et à la couleur. Les deux expositions se répondent parfaitement. D’une part, Flora qui a fait une œuvre d’art totale et immersive où chaque visiteur sera invité à rentrer seul ou en petit groupe, comme avec James Turrell où l’on entre dans le lieu et la porte se referme derrière nous. De son côté Bruno Peinado propose une grande installation qui elle aussi vient jouer avec l’espace. Nous tenions vraiment à maintenir ces deux « expositions paysages » et de façon concomitante à cette saison de l’été comme une invitation à une ballade où la nature est en pleine explosion.

Quel bilan faîtes-vous de cette période ?

Un bilan assez contrasté parce que s’il n’y avait pas eu la dimension tragique de cette période avec des morts, des urgences surchargées, des gens en détresse, et cette peur, le confinement a été très positif pour moi à la fois professionnellement pour le SHED et en tant qu’artiste. Si vous avez parlé à des artistes pendant cette période ils vous ont certainement dit à quel point ils ont l’habitude d’être en confinement. C’est même le mode de fonctionnement qu’ils préfèrent parce que dès lors que l’on sort, on se déconcentre, on part ailleurs, ce qui est bien pour se nourrir mais pas forcément pour créer. Pour travailler on a besoin de temps, de calme, et même si c’était très dommage de ne plus aller voir d’expositions, ce que l’on fait beaucoup en tant qu’artiste, je n’ai jamais autant travaillé que pendant cette période. Pour ce qui est du centre d’art, ce qui est le plus triste est de ne pas avoir pu faire de vernissage et jusqu’à nouvel ordre ça ne pas changer, car c’est un moment important et joyeux autour de l’aboutissement de tout un travail et le début de la rencontre avec le public. C’est frustrant à la fois pour les artistes, notre régisseur et moi. La plupart de mon équipe a été mise en télétravail, ce qui s’est plutôt bien passé. Notre régisseur qui ne peut télétravailler, s’est occupé de toute la conversion et les calculs pour les vidéos d’Antoine de Galbert, leur mise en ligne, depuis chez lui. Il est certain que l’adversité suscite des idées autres, comme avec cette vente aux enchères en ligne que nous avons organisé avec une maison de vente de l’avant-dernière exposition avant le confinement avec une quarantaine d’artistes et chacun 1, 2 ou 3 œuvres. Les acheteurs potentiels pouvaient se connecter à cette offre via la plateforme Drouot on ligne et pour certains artistes cela a été sold out. Pour les plasticiens la période était dure même si pour eux ça l’est tout le temps comme avec ce dessin très parlant qui a tourné sur les réseaux où l’on voit un peintre dans son tout petit atelier avec un petit chauffage au bois et l’écriteau artiste, puis le même dessin avec inscrit artiste avant confinement, pendant et après confinement. Il illustre que l’art plastique est souvent le parent pauvre de la culture et que quand on est habitué à vivre dans une certaine précarité, on traverse plus facilement ce genre de crise. Pour les artistes plus dépendants du marché la situation est différente comme par exemple avec l’annulation d’Art Basel qui a de lourdes conséquences pour eux et leur galerie. En ce qui concerne les engagements publics, les centres d’art ont continué à payer les artistes avec ou sans exposition et pour nous cela n’a rien changé non plus, les subventions n’allaient pas nous être retirées. Alors même si en temps normal ce n’est pas toujours facile, nous étions sans doute mieux armés à faire face à une telle période et moins impactés qu’une galerie qui n’a plus de clients. Ce sont certainement les petites galeries sans réserve qui ont pris de plein fouet cette crise.

INFOS PRATIQUES :
• « Day for (your) Night »
Collection vidéo d’Antoine de Galbert
Exposition en ligne du 29 mai au 31 août 2020
Pour visionner les vidéos, cliquez ici !
• Normandie Impressionniste 2020 :
Bruno Peinado
Flora Moscovici
Du 11 juillet au 15 novembre 2020

Le SHED, centre d’art contemporain de Normandie
Site Gresland :
12 rue de L’Abbaye
76960 Notre-Dame de Bondeville
Site de l’Académie :
96 rue des Martyrs de la Résistance
76150 Maromme

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http://www.le-shed.com

La Fondation et collection Antoine de Galbert :
https://fondationantoinedegalbert.org/

A LIRE :
Rencontre avec Antoine de Galbert, collectionneur et fondateur de la Maison Rouge
Selma Toprak et les 10 ans de Normandie Impressionniste
Le SHED met à l’honneur le photographe Mathieu Douzenel
Rencontre avec Jonathan Loppin, directeur artistique du SHED et artiste
Fermeture de La Maison Rouge : les mots d’Antoine de Galbert
Ceija Stojka : Avoir 10 ans à Auschwitz. Les expositions testaments d’Antoine de Galbert (1/2)
Les Black Dolls de la collection Deborah Neff. Les expositions testaments d’Antoine de Galbert (2/2)

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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