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Le duo Hippolyte Hentgen interroge avec malice l’héritage des secrets de la Cristallerie Saint-Louis

Temps de lecture estimé : 8mins

La Maison Saint-Louis qui a rejoint le groupe Hermès en 1995 s’inscrit dans une longue tradition d’excellence rehaussée de talents contemporains. C’est dans les Vosges du Nord que la Verrerie Müntzthal devient « Verrerie royale » en 1767. Le secret du cristallin découvert par les anglais est mis à jour en 1781 à Saint-Louis. La Cristallerie royale Saint Louis connaît alors son heure de gloire autour de modèles iconiques tels que le cristal soufflé-bouche, taillé-main, à l’or 24 carats.. en parfaite adéquation avec l’évolution des goûts et des modes.

La ​Grande Place, musée du cristal Saint-Louis, qui a été conçu en 2007 par l’agence Lipsky + Rollet se déroule en une spirale ascendante autour de 2000 pièces emblématiques. Le dernier étage est réservé à une programmation temporaire d’expositions de plasticiens contemporains, sous la responsabilité de la Fondation d’entreprise Hermès. L’ensemble est d’une grande audace favorisant les reflets et rebonds visuels, tandis que l’atelier du chaud est visible d’une passerelle, rappelant la vocation de fabrique du lieu.

Un véritable terrain de jeu pour le duo Hippolyte Hentgen. Nées en 1977 et 1980, Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen vivent et travaillent à Paris. Après l’obtention du DNAP, Gaëlle quitte la Villa Arson, à Nice, pour poursuivre son cursus à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, tandis que Lina intègre à son tour l’Ecole des Beaux-Arts – Villa Arson de Nice. C’est en 2007 qu’elles se rencontrent lors d’une résidence au Point Ephémère à Paris et de leur complicité naissante autour du dessin à 4 mains va naître Hippolyte Hentgen.

La Fondation d’entreprise Hermès confie au centre d’art contemporain- la synagogue de Delme, en Moselle, un nouveau cycle d’expositions présenté à la Grande Place, Musée du cristal Saint-Louis, après le Centre Pompidou​(​ Metz et le Frac Lorraine. Marie Cozette directrice de la Synagogue de Delme imagine alors « l’héritage des secrets », avec comme premier invité le duo Hippolyte Hentgen.​​ »Overlay » est le résultat de leur cheminement mutuel autour de ce potentiel de rituels et leur transmission. Un hommage aussi irrévérencieux que fidèle à la mémoire du lieu et ses hommes.
Elles ont répondu à nos questions.

9 lives : Marie Cozette en tant que commissaire de ce nouveau cycle à l’invitation de la ​F​ondation ​d’entreprise ​Hermès, vous imaginez « l’héritage des secrets » en quoi l’univers du duo Hippolyte Hentgen y répond ?

J’ai construit ce cycle en abordant le lieu à partir d’une multiplicité de potentiels narratifs, d’accumulations, de recouvrements dans le contexte à la fois historique, esthétique et humain.
J’avais perçu dans le travail d’Hippolyte Hentgen cette diversité et cette dimension joyeuse dans la manière de s’approprier des objets, des référents culturels opérant un décloisonnement des catégories habituelles du haut et du bas, du bon et du mauvais goût, du savant et du populaire.
Un renversement permanent dans une certaine virtuosité associé à une dimension très primitive. Cet aller et retour intégrait parfaitement les multiples composantes de l’univers de la cristallerie et maître verriers.

9 lives : Comment avez -vous dessiné ensemble les contours de l’exposition « Overlay » et pourquoi ce titre ?

MC : La 1ère étape consistait à visiter le musée et la manufacture pour s’imprégner de ces gestes, de la grande et la petite histoire, des petits signes, traces archéologiques.

HH : Il n’était pas question de chercher à rivaliser ou faire moins bien que le musée.
En découvrant la manufacture nous avons eu accès à tout un langage technique ce qui a donné le titre de l’exposition et aussi tout un champ d’opérations plastiques : la gravure, l’assemblage, qui rejoignaient notre langage. Il fallait pouvoir intégrer les paramètres de la manufacture et les rebus de cristal découverts dans un coin après l’atelier du chaud et offerts par ​l’équipe de la cristallerie. Des rebus de toutes formes et couleurs présentant différentes teintes et volumes de cristal brut, avant la technique de l’Overlay.
Sorte de caverne aux trésors qui correspondait à notre façon de récupérer des formes pour les transformer de façon assez ludique et légère. Des gestes à la fois simples et virtuoses, sans que l’on sente un labeur.
On reconnaissait bien dans le mot Overlay cette façon de creuser différentes strates, comme nous nous approprions les dessins à 4 mains, de passer par des lignes qui se reconnaissent mais qui traversent différents plans et différentes natures d’images.

L’architecture de l’endroit demandait à la fois d’investir radicalement l’espace dans une cohabitation de formes assez ouvertes, ce qui impliquait des images denses et généreuses, certes moins élégantes que dans les galeries patrimoniales du bas, mais tendres et drôles.
Nous avons voulu présenter un ensemble de 24 nouvelles pièces associées à des collages tout récents et composer dans chaque vitrine une histoire et un fil narratif pour à chaque fois retrouver des correspondances formelles ou des possibilités de scénario ou de progression dramatique à plusieurs entrées. Une vision qui ne soit pas autoritaire mais vienne fabriquer une nouvelle histoire potentiellement logique à travers des questions de lignes ou de gestes.

9 lives : Hippolyte Hentgen, Qu’est ce qui vous a séduit dans ce nouveau défi ?

Quand Marie Cozette nous a proposé le projet d’une exposition ici nous n’avions jamais ni visité de manufacture ni travaillé avec du cristal ou du verre, même si la question du recyclage était déjà fortement présente dans les dessins avec beaucoup de réutilisation de documents trouvés et une pratique d’assemblage avec de petits objets récoltés dans des Emmaüs ou vides greniers, toujours sans valeur.
La difficulté pour nous venait de l’environnement qui d’habitude nous est relativement familier. Or c’est la 1ère fois que nous étions confrontés à une telle concentration de savoirs-faire, loin de l’industrie, nous ne souhaitions pas modifier les objets avec lesquels on travaille pour que cela paraisse naturel. Il fallait donner une impression de fondu enchaîné qui n’apparaisse pas comme de l’ironie grinçante, que notre intervention trouve sa place sans agressivité. Des gestes à la fois simples et virtuoses, sans que l’on sente un labeur.
Que le pied de nez reste léger et pétillant, même si le défi restait assez vertigineux !

9 lives : H.H., quels ont été les temps forts et images qui ressortent de cette expérience ?

La collaboration avec la Synagogue a été vraiment positive, une petite équipe qui a su être très réactive.
La découverte de tous ces différents corps de métiers qui permettent d’aboutir à un objet final issu de la cristallerie St Louis lors d’une journée de visite extraordinaire à la fois dans le musée et la manufacture. Nous avons eu accès aussi aux archives, un vrai trésor, en plus de la malle aux rebus !
De nouvelles pièces ont été produites spécialement pour l’occasion. Nous avons l’habitude de travailler avec cette densité étant aussi professeurs et mamans et le délai imparti pose une contrainte au final assez salutaire.

H.H. Ce projet va t-il influencer votre pratique future et ouvrir de nouvelles perspectives ?

C’est l’objet d’un travail en duo car chaque projet d’exposition est l’occasion de sceller quelque chose de nouveau et de franchir une nouvelle marche.
Se retrouver seul face à un laps de temps court et des manipulations de pièces aussi lourdes que le cristal serait irréalisable.
C’est toujours un défi d’utiliser de nouveaux matériaux, de déployer plus de gestes, de les complexifier, les radicaliser, les préciser.
Pour 2018 nous avons comme actualités le Printemps de Septembre à Toulouse (château d’Eau) et la Villa Kujoyama.

Nous sommes parties il y a 2 ans avec une bourse de recherche du CNAP aux Etats-Unis autour du cartoon et avons récolté un corpus de textes et de pièces importants. Aussi nous attentons la fin du Japon pour aboutir à une publication rassemblant les gestes mis en jeu ici. Il y a aura donc une implication directe.
Nous allons explorer la question du monstre dans l’iconographie japonaise. Une archive assez colossale autour des questions de gestes, d’images reproduites accompagnées d’un texte plus théorique avec des entretiens d’artistes, d’archivistes, d’historiens :

L’image fantôme et le monstre bizarre dans le dessin japonais

Et également une sorte de cahier de recettes des gestes pratiqués dans l’atelier, du traitement du recyclage des formes et des images avec un chapitre sur l’expérience de la Cristallerie.

Notre galerie Semiose qui est aussi une maison d’édition a de plus sorti une publication récemment dans le cadre des Cahiers de l’Abbaye Saint-Croix où nous avons exposé.

INFOS PRATIQUES :
HIPPOLYTE HENTGEN
Overlay
La Grande Place
musée du ​c​ristal Saint-Louis
Rue Coëtlosquet
57620 Saint-Louis-Lès-Bitche
http://www.saint-louis.com/fr/musee/

Fondation d’entreprise Hermès
http://www.fondationdentreprisehermes.org
http://www.cac-synagoguedelme.org/fr/

Le duo est représenté par la galerie Semiose, Paris.
Actualités des artistes :
http://hippolytehentgen.tumblr.com/

A LIRE :
Rencontre avec Marie Cozette, directrice du centre d’art contemporain, la Synagogue de Delme

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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