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Angoulême, l’Emoi photographique s’ouvre sur l’Histoire (1ère Partie)

Temps de lecture estimé : 7mins

Petites histoires et grande Histoire se croisent dans la programmation, en tout, pas moins de 24 expositions dont 21 sont issues d’une sélection faite suite à un appel à projet, trois sont des invitations: Warren Saré et ses tirailleurs sénégalais, Jean-Daniel Guillou, le retour du docteur Lim au pays des khmers rouges soigne gracieusement les gens dans sa jonque-hôpital .

La seconde partie de cet article sur Angoulême, l’Emoi photographique (voir celui publié la semaine passée), me permet de préciser, en revenant à la matière même de nombres d’excellents travaux produits et exposés par Peggy Vallaire, Directrice Artistique, que ce Festival a vocation de RÉPARER les MÉMOIRES historique et personnelles, l’IMAGINAIRE et LE CORPS, pour exemple, atteint par l’âge, la maladie, chez Jean Michel Leligny et Jean Charles Dehedin, comme, aussi bien, les injustices faites aux tirailleurs sénégalais et celles établies par Michel Claverie dans Tracks, ou Bruno Mercier.

Réparer au sens politique du terme, ce qui concerne la vie de la cité, est il besoin de le rappeler, c’est dire revenir sur les traces même de l’Histoire, dans une proposition de vérité, repenser le rapport mémoriel, afin qu’il reste assez constant pour ne pas se déliter, s’appauvrir, se diluer, que la mémoire historique se ré-agrège, à chaque génération et surtout, afin qu’elle établisse clairement le fait historique, qu’elle ne soit pas l’objet de trafiques en tout genre et de ré écriture réductrices ou « rénovatrices ». Il est donc important de continuer à produire ces mémoires actives et actuelles, à entretenir le lien mémoriel. Est ce un hasard si le Festival programme deux expositions liées à la guerre de 14 et une à celle de 39, une autre qui revient sur le conflit khmer? Non, bien sur. Le reste de la programmation rejoint ce propos, dans les champs du corps, de l’intime, de l’ imaginaire.

Bruno Mercier 14-18
Théâtre. Un paysage de la mémoire.

A travers 14-18 la grande Guerre, Bruno Mercier revient à ce combat; il évoque déjà la mémoire de ses arrière-grand-pères disparus au « champ d’honneur », mémoire personnelle liée à d’anciennes photographies. Il se lance ensuite dans une sorte de vérification in situ, sur les traces mêmes encore visibles des paysages où se tint la boucherie générale des affrontements et sur les cicatrices des paysages qui ont vu les grandes batailles. Travail en noir et blanc d’une belle intensité dramatique, formellement assumé, cadrage, grain, ciel, importance des variations entre l’ombre et la lumière, de la richesse des nuances de gris,les traces sont encore présentes, que ce soit les bâtiments et blockhaus affleurants, ou le creux d’un chemin, les tranchées elles même. Au delà des films qui, avec d’autres moyens, évoquent le grand charnier, ce retour sur les lieux constitue en soi un paysage de la mémoire, où, ce passé invisible souffle toujours son défaut de représentativité et son excès, plus volontiers matière fictionnée du cinéma de Kubrick ou de Jeunet. A la fuite de l’image, on sent que le photographe cherche cette part d’invisible qui fuit devant lui, qu’une quête s’est constituée et qu’un chemin s’est ouvert, à la fois dans la précision de l’évocation et la volonté d’établir, volonté d’un surgissement voué à réparer cette mémoire personnelle et historique qui est le sujet général du Festival, en portant aux yeux de tous, ce qui, toujours, semble ancré, au fond de soi contre la fuite des perspectives grises et mélancoliques, des lieux qui gisent, a rebours de la mémoire, sous le ciel de France et qui emportent le photographe…de superbes images évoquent aujourd’hui, l’impossible distance qui sépare ou relie au drame. la photographie du trou d’obus, rempli d’eau, n’est pas sans évoquer une photographie de Duroy, issue de l’Europe du silence, prise dans la même région. http://www.brunomercier.fr/

Michel Claverie à l’Espace Mémoriel de la Résistance et de la Déportation.

Ce continuum mémoriel trouve sa pleine expression à l’Espace Mémoriel de la Résistance et de la Déportation, avec le travail de Michel Claverie, dénonçant l’entreprise d’effacer tous les témoins des camps à travers « ses marches d’évacuation des camps, ultime chapitre du système concentrationnaire nazi. La béance, la mort, la déportation, la haine, l’extermination et l’abomination sont inscrites dans l’air et la chair des paysages photographiés, ce noir et blanc donne au funèbre une voie blanche et noire, interdite, séditieuse, enclose des larmes, de sang et de fureur, qu’une paix siliceuse est venue recouvrir, appel des silhouettes disparues, comme happées par la forêt, au point qu’il faille clouer les portraits de ces hommes souriants, vivants, disparus à même le bois des arbres, infinités dissonantes où sonnent les éveils déchus, quand sonne la cloche du soir et que ces vies sont encore un chemin qui lutte contre une forme d’ensevelissement, de disparition. Le photographe suit en lui et in situ, le cheminement d’un bruit, d’un son, d’une fracture du silence…pour s’enclore dans l’oeil et entrer dans ce temps de la photographie, où tout est murmure, quand le sacrificiel se retrouve recouvert par le chant hanté des mémoires. Bergmann et son si sublime film « La source » ont fait écho à ce devoir de mémoire.

http://www.angouleme-tourisme.com/1858-espace-memoriel-de-la-resistance-et-de-la-deportation

Warren Sare, La dernière carte. Au Musée Municipal d’Angoulême.

Sous une autre forme toute aussi réparatrice dans l’examen que souhaitent les tirailleurs sénégalais de se voir reconnus, au terme d’un combat qui aura duré des décennies et dont le compte, n’est toujours pas soldé par l’administration, Warren Sare, invité d’honneur du festival, affiche les portraits des quelques survivants parmi les hommes, qui ont tout donné pour La France et que celle ci, à travers un mépris, a toujours peiné à reconnaître. Que d’encre a coulé pour soutenir ce juste combat et qu’il est juste de voir, par le biais de ces portraits, ces hommes à l’honneur bafoué, mais plus que tout, hommes quand même et, droits dans leurs bottes, nets dans leur sourire. Warren Sare , hors de tout pathos, dans une bonhommie de circonstance, a ce léger sourire qui porte son travail vers un « retour du refoulé » et dans l’espace social français, sorte de revanche accomplie et salutaire dans le service qu’il rend à la mémoire de ces hommes, dont certains, ne demandaient que de retrouver leur carte militaire. On imagine le calcul des ces administrations coloniales et républicaines dans ce jeu honteux, la souffrance morale de ces tirailleurs… maintenant, grâce à Warren Sare, présent à nouveaux dans leurs revendications sur le sol français et, qui plus est, au Musée. Les voici, toujours bien actuels…. Warren, quel un joli tour à La Wangrin, ce héros d’Amadou Hampaté Bâ, (qui ne cesse de battre en brèche toute une administration coloniale française, à travers aventures, chausse trapes et coups en tout genre…).Bravo!

Sur le Festival.

Pour sa cinquième édition, du 25 Mars au 30 Avril, le Festival L’Emoi Photographique se déploie principalement au centre de la vieille ville d’Angoulême, en hauteur, Une grande partie des expositions se tient dans le centre historique de la vieille ville, à deux pas de la gare TGV.

D’une excellente tenue sur le plan de la programmation et dans le continu du lien qui unit le festival à la région, Peggy Allaire, directrice du Festival, secondée par Yann Calvez, commissaire technique, incarne les valeurs liées aux choix établis par une pertinence aussi partagée qu’ambitieuse; le festival est une porte ouverte sur toute une photographie prenant à bras le corps de vrais propos construits et pertinents, faisant état de problématiques difficiles (l’exploitation, la maladie, l’image de la femme après 44 ans, l’Afrique, l’Art, etc.) auxquels le public répond très positivement. Ces expositions sont liées à la pleine intégration de l ‘événement dans une actualité artistique riche, avec notamment l’ouverture du mois de la photo du Grand Paris qui suit dans le calendrier et font d’Angoulême, l’Émoi photographique, un festival militant exposant une pluralité discursive d’excellents travaux. La facilité d’accès aux lieux et leur dispersion dans le centre ville ont rendu leur visite facile et agréable. C’est dire que tout était prévu et fait pour que ce Festival soit un moment d’échanges et de découvertes, dans une belle convivialité. toute la programmation sur www.emoiphotographique.fr

Autres articles :
> Angoulême : L’EMOI photographique, un Festival ouvert sur l’Histoire et les histoires (30 mars)
Angoulême, l’Emoi photographique s’ouvre sur l’Histoire (2nd Partie) (5 avril)

Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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